Et pourtant, j’ai pas décroché de stage à la Maison Blanche…
J’avais choisi exprès un bus de nuit partant de Dalat à 23h pour arriver à Saigon entre 6 et 7h du matin, ce qui semblait être un horaire correct pour débarquer dans une grande ville. C’était sans compter sur le zèle exacerbé du chauffeur qui nous a jetés, moi et mes sacs, sur le trottoir à 4h30…
Mais il ne faut pas croire qu’à cette heure-là, Saigon dort… Oh que non ! Loin de là ! Les chauffeurs de taxi sont déjà au taquet pour récupérer les touristes qui, eux, ont encore les yeux collés. C’est l’heure où les Saigonais font leur jogging ou jouent au footminton, où les restos balaient leurs petits bouts de trottoir et où je me dis qu’un t-shirt, un pull et ma veste, c’est au moins 2 couches superflues vue la température extérieure (qui n’a rien à voir avec celle du bus où apparemment, la clim était coincée sur -20°C…).
Par chance, le bus m’a déposée dans la rue du MiMi Backpackers Hostel où j’avais prévu d’aller. Enfin, dans la rue… En fait à Saigon, les adresses ressemblent à ça : 219/38 Pham Ngu Lao. Alors la rue Pham Ngu Lao, OK. Le numéro 219, OK. Le numéro 219/38… désolée, ça n’existe pas. Bon, si, ça existe mais en fait, c’est pas dans la rue Pham Ngu Lao. C’est caché dans le pâté de maison derrière le numéro 219. Il faut donc s’aventurer au p’tit bonheur la chance dans les ruelles pour trouver le 219/38. Je m’aventure donc. Je tombe sur une petite dame en train de faire bouillir de l’eau qui m’indique vaguement une direction… Je m’enfonce dans un labyrinthe de ruelles étroites et j’essaye de mémoriser les couleurs des motos qui sont garées à chaque angle… De bons gros rats bien gras fuient en entendant mes pas. Bizarrement, j’ai pas peur des rats. Il paraît que soit t’as peur des rats, soit t’as peur des araignées. J’ai choisi mon camp. Tout à coup, je tombe sur un type en uniforme vert olive (c’est la couleur de l’armée normalement) qui me demande où je vais. Je lui réponds que je cherche le numéro 219/38 et il me dit de le suivre. (Je rappelle le contexte, il est 4h30 du matin, je suis dans un dédale de petites ruelles où y a pas un chat et j’ai 25kgs sur le dos…) Bon, bah… je le suis, hein ! J’essaye quand même de garder une idée générale de là où il m’emmène mais il faut faire confiance à ses semblables et j’arrive à bon port. Bon, sauf qu’il est toujours 4h30. 4h45, maintenant. Mais pas de problème, mon nouvel ami frappe à la porte de chez MiMi qui nous ouvre, les yeux tout collés, elle aussi. En fait, MiMi dort par terre dans le salon/réception. Elle m’explique que si je veux check-in maintenant, va falloir payer la nuit. Pas de problème, je dis. Je vais juste laisser mes sacs là et je vais aller faire un tour et puis je reviendrai pour le check-in. C’est à quelle heure au fait, le check-in ? A 14h !!! Ah oui, quand même… va falloir faire un grand tour… Pendant ce temps, mon ami n’a pas foutu le camp, il attend. Il attend que je lui file 2 dollars pour m’avoir conduite jusque là. Bon, bah là, j’ai peur de rien, je lui explique que j’ai pas un rond et que je le remercie chaleureusement mais maintenant, faut qu’il aille se coucher. Du coup, il râle mais il s’en va. Le temps de prendre mon sac à mains et hop ! me revoilà dans la ruelle, MiMi est déjà recouchée. Je retrouve mon chemin jusqu’à la sortie du labyrinthe (en vérifiant derrière moi que mon pote ne m’attend pas dans un coin pour me prendre de force ses 2 dollars…) et là, force est de constater que même si ça s’agite un peu, y a pas un café d’ouvert, que ça n’ouvrira pas avant 6h30, que j’ai quand même quasiment pas dormi et après avoir déambulé un quart d’heure, je reprends la direction de chez Mimi…
Je frappe à nouveau, MiMi me réouvre la porte (j’ose espérer qu’elle s’était pas rendormie…) et pas de problème, elle me file une chambre où je m’écroule après avoir allumé la clim. Mais il fait 600 000 000 de degrés ici ou quoi ?
Après quelques heures de sommeil entrecoupées de tout un tas de bip-bips (je dors sur la télécommande de la clim, mon portable n’a plus de batterie et le téléphone de l’hôtel se met à sonner) et une bonne douche, MiMi m’offre un petit déj et je pars à la découverte de Saigon-la-fumeuse-d’opium. Quoi ? C’est pas l’image qui vous vient à l’esprit quand on dit « Saigon » ? Moi oui.
Bon, c’en est bien fini de l’opium, certes. Et les principaux sites touristiques de la ville sont désormais en lien avec la guerre contre les Américains et le combat acharné des communistes pour « libérer » le pays. Faut dire qu’avec les kilos-tonnes de bombes qui sont tombées sur le pays, il ne reste pas grand-chose « d’avant »… Le Musée des Souvenirs de Guerre (anciennement nommé Musée des Crimes de Guerre causés par les Américains mais d’un point de vue marketing, c’était pas très bon) est particulièrement bien lourd, dans le même genre qu’Hiroshima mais avec des photos encore plus trash et s’ils avaient pu mettre en vitrine des restes de cadavres torturés pour montrer à quel point les Américains ont été méchants, on peut penser qu’ils l’auraient fait. Un directeur marketing a dû leur dire que là, fallait pas pousser le bouchon Maurice. A la place, ils ont mis dans le hall des vraies victimes de l’agent orange qui chantent ou vendent un peu d’artisanat. J’ai bien lu quelque part dans le musée que la firme qui avait fourni cette belle cochonnerie était Monsanto (spécialisés dans les trucs dégueu ces gens-là…) ce qui ne m’a pas empêchée, 2 jours plus tard, de tomber sur leur congrès annuel en grande pompe dans un hôtel de luxe, quelques rues plus loin… Y en a qui ont la mémoire sélective… J’ai quand même assisté à une scène plutôt émouvante : un papi américain, visiblement vétéran de cette vilaine guerre, s’est mis à pleurer devant les photos de la section « Missing ». Comme ça, sans bruit, juste des grosses larmes qui roulaient sur ses joues… Ca a bien failli être contagieux dites donc.
Mais bon, la guerre est finie, Bill Clinton a levé l’embargo depuis 1994 (j’y reviendrai), il fait 30°C, j’ai sorti mon short, mes tongs et mes lunettes de soleil et c’est plutôt agréable de se promener dans la ville. Les rues sont larges, bordées de platanes (ou autres banians qui font plus couleur locale) et je finis même par tomber sur les Galeries Lafayette, Dior et Vuitton. Ah, enfin des repères ! Je commençais à me dire que les femmes des cadres corrompus du Parti ne devaient pas savoir où dépenser tout leur argent… Je manque me faire écraser par une Ferrari en traversant la rue (l’histoire ne dit pas qui a grillé le feu rouge) et y a même des salons de thé avec terrasse panoramique qui servent des glaces au jeune riz vert… faut bien tester ! Bref, j’ai enfin compris où sont planquées les richesses du pays.
Le lendemain, je pars visiter les tunnels de Cu Chi à 50kms de Saigon. Cu Chi, c’est la zone la plus bombardée, défoliée, rasée, gazée et re-bombardée du monde (c’est pas moi qui le dis, c’est l’Histouâââre…). Et pourquoi tant d’acharnement ? Tout simplement parce que la zone était contrôlée par les Viêt-Congs (oui, toujours eux), que les Américains savaient qu’il existait près de 250kms de tunnels reliant la zone au Cambodge et à la piste Ho Chi Minh et permettant aux Viêt-Congs de s’approvisionner mais aussi de leur échapper, et parce que la jungle (parce qu’ « avant », y avait la jungle) les empêchait de trouver les entrées. Du coup, aux grands maux les grands remèdes, les Américains ont balancé des bombinettes, du napalm et un peu d’agent orange puis ils sont venus virer ce qu’il restait à grands coups de bulldozer. Mais ça n’a rien changé. Ils n’ont pas réussi à trouver ni à détruire les tunnels.
Les Viêt-Congs se sont en fait servis d’anciennes galeries qui avaient été creusées pendant la guerre d’indépendance contre la France. Ils les ont prolongées, ont creusé d’autres niveaux (à 3m, 6m et 10m sous terre… pour info, les tunnels font 1,20m du haut sur 80cm de large et ça dans les parties les plus larges… donc au -3, on respire pas, c’est juste pour courir et ressortir plus loin), ont aménagé des salles de réunion, des salles de classe et des cuisines (oui, parce que les villageois aussi, ils se cachaient quand ça crépitait au-dessus de leurs têtes) et ont imaginé tout un système de pièges machiavéliques anti-Américains à base de tiges de bambous empoisonnées. C’est le plus grand réseau de galeries souterraines au monde. Et c’est pas fait pour les claustros. Parce qu’en bon touriste, tu peux te glisser dans les tunnels. Enfin, dans un petit bout de tunnels qui fait 100m de long et où ils ont aménagé des sorties tous les 20m pour les petits malins qui paniqueraient une fois descendus. Oui, parce que c’est même pas la peine de penser à faire demi-tour. Les Viêt-Congs avaient bien compris qu’ils ne pouvaient pas courir plus vite que l’ennemi (quand un Gi fait 2 pas, un Viêt-Cong en fait 3) mais ils avaient surtout bien noté que si les Gi avaient les jambes plus longues, ils mangeaient déjà bien plus de burgers d’où l’étroitesse des tunnels. Malins les Viêt-Congs !
Enfin bon, la partie vraiment intéressante de la journée, c’était bien sûr la descente dans les fameux tunnels. Ça n’est arrivé qu’après 2 heures de visite où on nous a proposé de tirer avec des vrais fusils sur des cibles en forme de GI, fait asseoir devant un montage vidéo fait par ma grand-mère rappelant la bravitude et l’héroïsme des Viêt-Congs et baladé devant des poupées de cire censées être en train de fabriquer des bombes artisanales. 5 heures de route et 2 heures de visite pour 15 minutes dans les tunnels… efficacité limitée. Mais ça reste très impressionnant. C’est vraiment très étroit (faut marcher à 4 pattes), il fait chaud, il fait noir comme dans un four et t’as vraiment du mal à croire que des types ont joué à la guerre là-dedans.
Pour ma dernière journée à Saigon, j’ai testé pour vous le service postal. Je suis allée à la Poste Centrale (bâtiment datant de l’époque coloniale avec une structure Eiffel qui m’a bien rappelé un certain 56A) où j’ai fait emballer et expédier 3,5kgs de trucs qui encombraient mon sac. Un peu long (près de 45 minutes pour l’intégralité de l’opération) et quant à l’efficacité… je vous dirai ça dans 15 jours.
Et puis, on est quand même dans une grande ville. Et une grande ville digne de ce nom a un zoo. Et quand y a un zoo, je ne résiste pas. C’était pas mal. Les cages étaient grandes, propres mais les animaux… ils étaient tous en train de dormir. Même les lions ne bronchaient pas d’un poil de moustache alors que des centaines de gamins hurlaient à moins de 2 mètres de leurs oreilles (oui, à part moi, au zoo, la moyenne d’âge tourne autour de 4 ans). Je soupçonne les autorités compétentes de filer une bonne dose de somnifère à tout le monde… Y avait juste un tigre blanc qui avait pas dû avoir sa dose et qui était un peu énervé au point de bondir en rugissant sur la vitre qui le séparait d’un petit Russe avec une casquette ridicule. Ça l’a fait bien fliper, le petit Russe. Bien fait !
Enfin voilà, tout ça, ça m’a plutôt réconciliée avec le Vietnam, on peut même dire que Saigon, j’ai bien aimé. Et le fait que j’y ai mangé un sandwich jambon/camembert et une tarte au citron meringuée n’a rien à voir avec ça.
Pour finir en beauté, je suis allée assister (assister, hein, pas participer) à un cours de kung-fu sur la place du marché avant d’aller manger un dernier pho bo chez Pho 2000. Ils sont complètement dingues ces Vietnamiens, ils font 5 roues de suite sans poser les mains par terre ! Et pourquoi donc chez Pho 2000 ? Et bah tout simplement parce que Bill Clinton en a mangé un exactement à cet endroit quand il est venu à Saigon après avoir levé l’embargo en 1994. Et que les Vietnamiens, ils ont un sens aigu du marketing : Pho 2000 est devenu « Pho for the President ».
Et maintenant, ils pensent à le renommer « Pho for AL and the President ».
Photos ici.