– OK OK…
– C’est bon ? T’as compris ?
– OK OK…
– Tu veux qu’on le refasse ensemble une fois ?
– OK OK…
– …
Ça fait un peu plus de 10 jours que je suis arrivée à Jahun. J’ai déjà pris mes petites habitudes, presque cerner tous mes nouveaux colocs, fait copain-copain avec la cuisinière (ndlr : toujours faire copain-copain avec la cuisinière…) et je me suis mise au boulot. Ce qui consiste en prendre une chaise, s’asseoir à côté du nouvel assistant administrateur et lui montrer les basiques de son boulot. Comme faire des inventaires de caisse dans un tableau Excel. Ou noter chaque paiement dans un cahier. Ou faire signer les fiches de paie. Ou saisir les congés dans le logiciel de gestion du staff après les avoir fait signer par l’administratrice. Rien de bien sorcier. Quand on sait se servir d’un ordinateur. Mais voilà. OK-OK ne sait pas se servir d’un ordinateur… Comment il fait pour passer à travers les mailles du filet pendant le recrutement ? Mystère…
J’ai d’abord eu un doute quand le premier jour, il est resté assis 27 minutes face à l’écran noir.
– T’as allumé l’ordi ?
– OK OK…
– Oh ! Il est pas branché peut-être ?
– OK OK…
Et il a trifouillé la prise qui, effectivement, n’était pas branchée. Mais je le regardais déjà suspicieusement…
OK-OK n’est pas méchant. Loin de là. C’est même plutôt un brave gars. Il dit qu’il a tenu la comptabilité dans une entreprise pendant des années mais qu’il a des problèmes cardiaques et qu’il veut un job moins stressant avec des horaires fixes quitte à être moins payé. Ça semble plutôt honnête sur le papier. Puis il l’avait dit pendant l’entretien qu’il ne maîtrisait pas complètement l’informatique. Nous, on a juste supposé que ça voulait dire qu’il ne savait pas écrire des formules conditionnelles sous Excel. Pas qu’il ne savait faire Enregistrer Sous…
Mais c’est pas grave ! Je suis là pour former alors formons ! Je m’arme de patience, je montre, j’explique, je remontre, je fais avec lui, je réexplique… Il montre de la bonne volonté, il essaye, il se trompe mais quand enfin, il y arrive, il a ce grand sourire sur son visage qui me dit que j’ai bien fait mon boulot.
Y a juste ce petit tic de langage. Chaque fois que tu lui poses une question, il répond : « OK OK… » Au début, je fais pas gaffe. Puis quand même, parfois, je remarque qu’il dit « OK OK… » mais que c’est pas du tout « OK OK… » Au bout de quelques jours, je commence à sourire en coin quand il secoue la tête en disant « OK OK… » Puis doucement mais sûrement, ça commence à me taper sur les nerfs. Surtout quand je me rends compte que tout ce que je lui ai montré le lundi est aussitôt oublié le mardi. Mais qu’il continue à me dire « OK OK… » Grrr… Avec M., l’administratrice qui bosse dans le même bureau, on commence à échanger des regards qui en disent long. On se dit qu’il faut lui donner un peu de temps, qu’au fin fond de la brousse nigériane, on ne peut pas s’attendre à tomber sur un sorcier du Pack Office et qu’on va encore persévérer un peu.
Alors, on varie les tâches. On demande à OK-OK de mettre son nez dans le placard à archives et de classer les 250 dossiers du personnel par ordre alphabétique. C’est pas hyper palpitant comme boulot mais c’est le milieu du mois et on croule pas sous le boulot. C’est le moment de faire un peu de mise à jour et de classement. « OK OK… » qu’il nous répond. Evidemment… Du coup, je suis pas sur son dos toute la journée. Je m’occupe des autres recrutements en cours. De temps en temps, je jette un oeil : OK-OK a étalé tous les dossiers par terre et je le vois en soulever un ici, un autre là… De loin, ça a l’air d’avancer. Bon, ça lui prend tout de même 5 jours à temps plein de ranger ces dossiers. « Ça va ? » je lui demande régulièrement. « OK OK… »
Le soir à la veillée, M. et moi on fait rire les copains en répondant « OK OK… » à tout ce qu’on nous demande. PJ, un obstétricien, nous fait remarquer que ça fait maintenant 2 semaines qu’on a embauché le gars et qu’il n’a pas l’air de faire l’affaire… On se regarde. C’est pas faux… Faudrait peut-être prendre une décision.
Le lendemain, il se trouve que M. a besoin de regarder quelque chose dans le dossier d’un des staffs. Elle ouvre donc le placard… et découvre que OK-OK a un sens de l’alphabet bien à lui. Certes les dossiers sont bien rangés mais pas dans l’ordre alphabétique. Dans un ordre bien personnel à OK-OK et qui lui échappe totalement. « Viens voir… » elle me dit. Les nerfs lâchent, on éclate de rire. On demande à OK-OK de venir nous expliquer ce qui s’est joué dans le placard et tout ce qu’il répond quand on lui dit : « Mais… c’est pas par ordre alphabétique ça !!! », c’est… « OK OK… » Mais cette fois, il a les sourcils froncés.
On le prend entre 6 yeux et on lui explique que là, ça ne va pas. On veut bien prendre le temps de lui expliquer les choses mais faut qu’il s’y mette. Et que franchement, 5 jours planqué dans un placard pour même pas mettre les dossiers dans le bon ordre… on n’est pas du tout satisfaites. « OK OK… » Mais son regard a changé. On sent qu’on l’a offensé. D’ailleurs, dès le lendemain, bien que le « OK OK… » soit toujours de mise, le ton a changé. Son visage est fermé et c’est tout juste s’il ne lève pas les yeux au ciel quand je lui parle.
Alors on a fini par prendre la décision. Et l’autre soir, avant qu’il ne ferme l’ordinateur et nous dise « A demain… », on lui a dit qu’on n’allait pas continuer avec lui. M., essayant de lui expliquer notre décision, lui dit : « Tu comprends, chaque fois si on te demande si ça va, tu réponds OK OK… mais on se rend compte après coup que c’est pas du tout OK OK et tu ne dis pas que tu n’as pas compris. C’est pas un problème de te réexpliquer plusieurs fois mais encore faut il qu’on sache que tu ne comprends pas ! On te dit ça pour ton prochain job… » OK-OK nous écoute sans un mot, le regard noir. Et puis il finit par dire… ‘OK OK… », il se lève, et il s’en va. M. et moi, on se regarde, décontenancées. « OK OK ? » je dis en levant les épaules. Et on éclate de rire. On est bonnes pour recruter un nouvel assistant.