Travailler à l’étranger ça veut dire plein de choses, en général tout et n’importe quoi.
Dans mon cas, ça veut dire chasser les mouches et les chauve-souris qui pensent que mon bureau est un endroit suffisamment accueillant pour qu’elles s’y sentent chez elles, partager ma cuisine et ma salle de bains avec quelques-uns de mes collègues, aller au bureau en tongs et en pyjama (rien que ça, ça pourrait me convaincre de ne jamais revenir), ne pas pouvoir imprimer ce que je veux quand je veux parce qu’il y a des coupures de courant, et sortir de ma zone de confort. A tout point de vue.
D’abord parce que climatiquement, c’est pas confortable tous les jours : quand il fait 35°C dès 9h du matin, tu sais que tu vas transpirer rien qu’à agiter les doigts sur ton clavier et goutter au-dessus des contrats n’est pas exactement du dernier chic. Ensuite, parce que j’ai beau aimer les challenges, ingurgiter le code du travail congolais en 3 jours relève globalement de l’impossible et il m’arrive donc régulièrement de ne pas savoir sur quel pied danser (ça compte les samedis dans les jours de congés ou pas ?). Et puis enfin parce que travailler avec des gens de 12 nationalités différentes, avec leurs 12 cultures différentes chacune avec leurs codes et leurs références, ça génère parfois quelques incompréhensions.
Par-dessus tout, y a la langue. Alors oui, on travaille en français et oui, théoriquement, le français je maîtrise mais n’oublions pas que le Congo, fût un temps, c’était belge et que donc, les Congolais, ils ne parlent pas français, ils parlent belge. Alors je fais attention, j’essaie de m’adapter. Par exemple quand j’annonce à mon interlocuteur que je vais le payer 495 dollars et qu’il me regarde avec des yeux de merlan frit. Bah au bout de la 8ème fois, je finis par me souvenir que 495 pour lui, ça se dit pas quatre cent quatre-vingt-quinze mais quatre cent nonante cinq. Même réaction quand je donne mon numéro de téléphone qui est plein de septante et de nonante…
Mais des fois, c’est encore plus compliqué. On ne met pas la même chose ou la même idée derrière le même mot. Ça donne lieu à conversations fabuleuses. Par exemple quand je demande au logisticien de la base s’il nous reste des duvets parce qu’on se gèle la nuit et qu’il me rapporte une couverture en peau de singe…
– Ah OK, cool, merci. Je pensais plutôt à un duvet mais un duvet parce que ça, ça va pas tenir bien chaud…
– Non mais en fait… c’est quoi un duvet ? C’est comme une blanquette ?
– … ??? Une… blanquette ??? Mais ça, c’est même pas du belge ! C’est de l’anglais non ?
– Bah je sais pas moi. Une blanquette c’est ce qu’on met sur un lit pour avoir plus chaud.
– Ah ouais, c’est ça, une blanquette, c’est une couverture en fait…
– Oui on peut aussi dire une couverture si tu veux. Mais du coup, un duvet, c’est quoi ?
– Bah un duvet, c’est le truc qu’on emporte quand on va faire du camping, qu’on dort sous la tente…
– Aaaah ! Mais ça, c’est un sac de couchage !
– Bah oui ! Un sac de couchage, un duvet, c’est pareil quoi !
– Duvet. C’est rigolo comme mot ça… Duvet. Mais y a personne qui dit ça ici…
Et puis des expressions rigolotes, ici, c’est pas ce qui manque. Une de mes préférées c’est quand quelqu’un veut dire qu’il est d’accord avec toi. Il te sort un joli : « Je n’en disconviens pas… » Y a aussi « Merci pour la parole » quand en réunion quelqu’un est invité à s’exprimer. Un peu protocolaire mais sympa. Puis y a aussi « Bon service ! » quand la personne que tu reçois prend congé ou « … en tout cas, vraiment » qui ponctue pas mal de phrases même si ça n’a aucun sens ou encore « Je souffre la souffrance » qui se suffit à elle-même. Mais la meilleure et de loin, c’est « Oui merci ! ». Celle-là, elle est magnifique. Elle sert à tout. Elle peut occasionnellement servir à dire « Oui merci ! » (genre « Tu veux un café ? » « Oui merci ! ») mais elle sert surtout quand tu sais pas quoi répondre. Voire que t’as même pas compris la question.
Là encore, y a les évidentes : « Comment tu t’appelles ? » « Oui merci ! » ou « T’as combien d’enfants ? » « Oui merci ! » ou « Non mais ça va pas être possible ! » « Oui merci ! »
Et puis y a les plus délicates : « T’as compris ce que je t’ai dit ? » « Oui merci ! » Le « merci » te met la puce à l’oreille. Immédiatement…
Des « Oui merci ! », j’en entends pas loin de 200 par jour. Chaque fois, je suis obligée de me poser la question. D’analyser l’expression de mon interlocuteur et d’essayer de deviner si c’est « oui merci ! » ou « oh mon dieu, j’ai rien compris mais dans le doute… » La plupart du temps, je n’en disconviens pas, j’ai du mal à pas rire… En tout cas, vraiment !