(… et à tes souhaits !)
Je suis donc passée au Cambodge après une longue balade en bateau sur le Mékong et j’ai débarqué en plein centre de Phnom Penh.
Avant d’arriver là, mes connaissances sur le Cambodge se limitaient aux temples d’Angkor et Pol Pot. Et encore, je ne savais pas exactement ce qui se cachait derrière ces noms à part que l’un est une des merveilles du monde (toujours selon la liste établie par moi-même) et l’autre, responsable d’un des pires génocides que l’humanité ait jamais connu.
Pour que vous puissiez avoir l’air cultivé dans vos prochains dîners, je vais donc vous faire une petite synthèse de ce tout qu’il faut savoir sur le Cambodge sans jamais avoir osé le demander.
Le Cambodge est un petit royaume (oui, il y a un roi du Cambodge, d’ailleurs, aujourd’hui, il s’appelle Norodom Sihamoni et avant d’être roi, il a été danseur de ballet et ambassadeur culturel auprès de l’Unesco…) qui fonctionne comme une monarchie constitutionnelle élective (c’est-à-dire qu’il y a un Premier Ministre comme en Angleterre) peuplé de 15 millions de khmers (c’est le nom qu’on donne aux Cambodgiens parce que c’est l’ethnie majoritaire (à 96%) mais c’est aussi le nom de leur langue). Autant dire que la population du Cambodge est inférieure à celle de Delhi, de Beijing ou de Shanghai mais sur un territoire environ 200 fois plus grand. Pas de métropole grouillante ici donc.
Pas de trains, non plus. Enfin juste pour les marchandises mais pas de trains de passagers. Du coup, pas de grève de la SNCF, c’est peut-être pas plus mal…
Revenons sur ce qu’il s’est passé au Cambodge au cours des 150 dernières années (c’est déjà bien assez compliqué et pour ce qu’il s’est passé avant, je vous ferai un topo quand on sera à Angkor).
Depuis toujours, le Cambodge est pris en tenaille entre son voisin vietnamien et son voisin thaïlandais qui l’envahissent régulièrement et à tour de rôle. En 1834, ce sont les Vietnamiens qui sont dans la place. Eux-mêmes ne sont pas encore sous protectorat français mais ça ne saurait tarder. En effet, après les premiers traités de protectorat signés au Vietnam, les Français obligent le roi Norodom Ier à signer un traité de protectorat qui évite en fait au Cambodge d’être rayé de la carte. C’est le début de 90 ans de domination française. Au début, les Français n’interférèrent guère dans les affaires internes du pays qu’ils considéraient comme négligeable à côté de leurs intérêts coloniaux au Vietnam. Puis en 1885, le Cambodge fut intégré à l’Indochine Française. Pendant les décennies suivantes, de hauts responsables cambodgiens qui trouvaient certains avantages à la présence française, abandonnèrent l’administration quotidienne du pays aux Français. Ces derniers entretenaient la cour de Norodom dans un faste inégalé depuis l’apogée d’Angkor (on en reparlera j’ai dit…) et en 1907, ils obtinrent même la restitution des provinces du nord-ouest (dont Angkor) sous contrôle thaï depuis 1794.
En 1942 (rappelez-vous, c’est la Seconde Guerre Mondiale et la débandade en Indochine), les Japonais occupent le Cambodge, laissant l’administration au gouvernement de Vichy (oui, parce que les Japonais étaient les alliés des Allemands mais comme le gouvernement de Vichy collaborait, il continuait à gérer les affaires courantes). En contrepartie, la Thaïlande reprend à nouveau les provinces du nord-ouest. A la fin de la guerre, les Thaïs rendent à nouveau les provinces susmentionnées, mais c’est la guerre d’indépendance au Vietnam. Les Français sont débordés, les Vietnamiens viennent filer un coup de main aux Khmers et le roi de l’époque, Norodom Sihanouk, part en croisade royale pour obtenir le soutien de la communauté internationale à l’indépendance du Cambodge et celle-ci est proclamée le 9 novembre 1953. Norodom Sihanouk abdique alors (c’est la première d’une longue série) en faveur de son père et devient le chef du parti socialiste populaire qui remporte tous les sièges du Parlement en novembre 1955. C’est alors une période de paix et de prospérité : Phnom Penh s’agrandit, les temples d’Angkor deviennent la destination touristique n°1 en Asie du sud-est et de nombreux dirigeants influents du monde entier viennent au Cambodge.
Pendant ce temps-là, au Vietnam, rien ne va plus avec les Américains. Sihanouk qui ne veut pas participer à cette guerre (armée toute riquiqui et pas assez d’armes) déclare la neutralité du Cambodge dans ce conflit et refuse alors toute aide des Etats-Unis qui avaient pourtant largement financé l’armée cambodgienne. Il laisse cependant transiter les armes et les munitions des Viêt-Congs en provenance du Laos à travers le territoire et en 1965, persuadé que les Etats-Unis complotaient contre lui et sa famille, il rompt les relations diplomatiques avec Washington et se tourne vers la Chine et le Nord-Vietnam. Cette décision ne va pas plaire à tout le monde, les Américains se mettent à bombarder sérieusement le pays. Plus de bombes furent alors larguées sur le pays que pendant toute la Seconde Guerre Mondiale, tous pays confondus. En 1970, alors que Sihanouk est en voyage en France, le général Lol Nol et un prince cousin de Sihanouk le destituent, le condamne à mort par contumace (non, pas de demi-mesure) et proclame la République khmère. Devenu allié des Etats-Unis, le Cambodge est alors intégré à la stratégie d’endiguement du communisme en Asie du sud-est.
Oui mais. Sihanouk s’est réfugié à Pékin et a rejoint les Khmers rouges, un mouvement de rebelles communistes d’inspiration maoïste. Beaucoup de Cambodgiens rejoignent alors le mouvement officiellement pour « défendre leur roi » qui jouit encore visiblement d’une bonne cote de popularité. Et puis Lol Nol et sa clique ne sont pas vraiment en bonne posture. Les Viêt-Congs sont réfugiés un peu partout au Cambodge, ce qui ne plaît pas trop aux nouveaux amis américains. Du coup, le régime est pris en tenaille entre d’un côté les Khmers rouges qui lancent une guérilla avec l’aide de la Chine, et de l’autre, les Américains qui traquent les communistes. S’en résulte une belle guerre civile. Quand, en 1973, les Américains se désengagent au Vietnam, les Khmers rouges, emmenés par Pol Pot, ont désormais le champ libre et prennent Phnom Penh le 17 avril 1975, rebaptisant le pays Kampuchea démocratique.
Les Khmers rouges entament alors la restructuration la plus brutale et la plus radicale qu’une société ait jamais tentée. Leur objectif est de transformer le pays en une coopérative agricole dominée par les paysans et de purifier le pays de toute civilisation urbaine et bourgeoise. L’avènement du régime khmer rouge fut proclamé « année zéro ». Dès les premiers jours de leur accession au pouvoir, ils vident la capitale et les grandes villes de province de tous leurs habitants (malades, vieillards et infirmes compris) et les obligent à rejoindre à pied la campagne pour travailler comme des esclaves dans les champs. Toute désobéissance entraînait une exécution immédiate. Les anciennes élites, « identifiées » parce que parlant des langues étrangères ou portant des lunettes (par exemple), sont traquées et exécutées systématiquement. La monnaie est alors supprimée, les services postaux interrompus et le pays se coupa du monde extérieur.
Aux yeux de Pol Pot, les Khmers rouges ne sont pas un mouvement unifié mais un ensemble de factions qu’il fallait épurer. Il commence donc par éliminer les Khmers rouges formés par les Vietnamiens et ceux soutenant Sihanouk. Puis il se concentre sur les hauts dignitaires de l’ancien gouvernement et les militaires associés à Lol Nol et enfin sur les campagnes, divisées en zone géographique. Dirigées par le général unijambiste Ta Mok, les forces loyalistes sont envoyées de région en région pour « purifier » le peuple, faisant des milliers de victimes. L’épuration finit par atteindre des proportions inouïes en 1977 dans l’est où la zone était réputée plus modérée et plus proche des Vietnamiens. Les responsables Khmers rouges de l’est s’enfuirent alors au Vietnam laissant le Mékong en pleine guerre civile. Le 25 décembre 1978, redoutant le chaos s’installant chez son voisin, le Vietnam envahit le Cambodge et provoque la destruction des rizières, entraînant l’effondrement du régime des Khmers rouges en 2 semaines. Pendant les 3 ans 8 mois et 20 jours du régime de Pol Pot, on estime le nombre de Cambodgiens massacrés à près de 2 millions de personnes soit 20% de la population…
Les Vietnamiens mettent alors en place un gouvernement formé par les anciens Khmers rouges de l’est, qui réorganise le pays selon le modèle vietnamien. Le pays, qui prend alors le nom de République populaire du Kampuchea, est en proie à une guerre civile opposant des tas de factions différentes allant des Khmers Rouges aux mouvements royalistes appuyés par la Thaïlande. Par-dessus le marché, la pénurie de riz engendre une terrible famine, ce qui n’arrange rien. En 1984, les Vietnamiens, lassés de repousser sans cesse les factions Khmers rouges résistantes, posent le plus long cordon de mines du monde, le K-5, qui s’étend alors du golfe de Thaïlande à la frontière laotienne. Puis, en 1989, le Vietnam, fragilisé par la perestroïka russe, retire ses troupes du Cambodge et en 1991, toutes les parties (sauf les Khmers rouges) acceptent de signer les accords de paix de Paris et d’organiser des élections libres et démocratiques supervisées par l’ONU. Ces élections eurent lieu en 1993 et le parti royaliste remporta 58 sièges à l’Assemblée Nationale contre 51 pour le parti du peuple cambodgien (PPC). Le PPC menaça alors de faire sécession et le pays, qui reprit le nom de royaume du Cambodge, se retrouva avec 2 Premiers Ministres… Pendant ce temps, les Khmers rouges changèrent de tactique et s’en prenaient désormais aux touristes et aux étrangers travaillant au Cambodge.
En 1997, Pol Pot (qui était définitivement cinglé) fit exécuter Son Sen, son ancien ministre de la Défense. Les derniers Khmers rouges se divisèrent alors et Ta Mok (lé général unijambiste) prit la tête de la ligne dure du mouvement et traduisit Pol Pot en « justice ». S’ensuivit une période où le gouvernement essaya de séduire les derniers Khmers rouges pour mettre fin à la guérilla mais dans l’euphorie du moment, le second Premier Ministre (du PPC) renversa le premier Premier Ministre (du parti royaliste) et des affrontements particulièrement violents eurent lieu à Phnom Penh. Début 1998, le PPC annonça une offensive générale contre ses ennemis et Pol Pot eu la bonne idée de mourir lors des combats (enfin ça, c’est la version officielle, en vrai, on sait pas comment il est mort). Les survivants (dont l’unijambiste qui devait quand même courir vite) s’enfuirent dans la jungle près de la frontière thailandaise. Fin 1998, de nouvelles élections confirmèrent la domination du PPC et les derniers Khmers rouges se rendirent. La communauté internationale fit alors immédiatement pression pour la constitution d’un tribunal chargé de juger les dirigeants Khmers rouges encore en vie ce qui prendra beaucoup de temps et d’argent (d’ailleurs, c’est toujours pas fini).
Depuis les années 2000, le Cambodge se reconstruit lentement. D’abord en ayant intégré l’Asean (l’Association des Nations de l’Asie du sud-est) puis l’OMC. Les derniers responsables Khmers rouges ont plus de 80 ans et les jeunes générations, qui représentent un très grande partie de la population (40% de la population a moins de 16 ans) et qui ont grandi sans la guerre, veulent désormais rattraper leurs voisins comme le Vietnam et la Thaïlande.
Bref, voilà, c’était le Cambodge… Pas très rigolo comme passé et probablement encore beaucoup de temps avant que le pays ne devienne une véritable démocratie (il est classé 157ème pays sur 176 en indice de perception de la corruption). Mais ma première impression ? Ça bouge à Phnom Penh, les gens sont souriants, accueillants, ont envie d’avancer. Bref, c’est plein d’espoir.