La théorie des micro-ondes

Il ne fait pas encore jour, je viens de me lever et je grignote une tartine, adossée à la table de la cuisine. J’ai mis de l’eau dans une tasse que j’ai mise dans le micro-ondes pour préparer un thé.

1 minute.

L’appareil se met à ronronner pendant que, la tête encore ailleurs, je regarde ma tasse faire de petits cercles sur le plateau. Les secondes défilent à rebours sur la minuterie.

Et là, tandis que sous mes yeux le temps s’écoule, littéralement, je me demande combien de minutes de ma vie j’ai laissées passer ainsi. Debout, devant le micro-ondes. A attendre. A ne rien faire. A ne penser à rien. A laisser passer ce temps qui file sans qu’on ait jamais le temps de l’attraper et qui ne revient jamais. Ce temps après lequel tout le reste de la journée je cours comme si j’avais peur de mourir demain. Ce temps qui m’est pourtant si précieux.

Là, subitement, devant cette tasse d’eau chaude, je prends conscience qu’on ne retient rien. Que ma seule consolation devant ces secondes qui s’égrènent ce sont mes souvenirs. Les jolis, les tristes, les touchants, les drôles, les « qui serrent le cœur », les « qui font sourire en coin », ces instants dont on croit qu’ils dureront toujours et qui sont déjà terminés à peine sont ils vécus. Et que ma mémoire trie, classe, archive, oublie. Remplaçant chaque jour ceux qui s’effacent par ceux qui se créent. Je me sens tout à coup comme une bouteille dans la rivière tumultueuse du temps qui passe. A deux doigts de boire la tasse, justement.

Ding !

L’eau est chaude. Machinalement, j’ouvre le micro-ondes, je sors ma tasse et j’y plonge un sachet de thé. Et alors que j’observe les volutes brunes s’enrouler lentement autour de ma cuillère, je réalise. Que j’ai laissé filer des tas de minutes debout devant le micro-ondes. Sérieusement, si on les mettait toutes bout à bout, ça doit bien faire quelques heures. Mais j’en laisserai encore filer d’autres. Parce que je ne vais pas mourir demain, que des tas de très chouettes souvenirs viendront compléter ma collection déjà bien fournie et que le temps qui passe ne se regarde pas avec regret et amertume mais avec tendresse et éventuellement un peu de nostalgie. Mais surtout avec un petit sourire en coin.

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Manger un burger et regarder un match de foot

Depuis que je suis rentrée, je me bats avec la sensation de ne jamais être partie. Oh, bien sûr, pas tout le temps. Mais j’ai régulièrement l’impression d’être happée par ma nouvelle routine et de ne plus penser au voyage que comme à un doux rêve cotonneux et coloré. Alors comme ce retour me fait l’effet d’un délicieux petit bain d’acide tous les matins au réveil, il y a certaines choses qui en adoucissent la saveur.

Comme par exemple dévorer un burger dans un pub pendant que tous les regards sont braqués vers  l’écran descendu le long du mur sur lequel courent des joueurs de foot un samedi soir froid et venteux de janvier. Après m’être gelée dehors à tenter de faire du skate (et pourquoi pas d’abord ?), ce petit mélange entre là-bas (l’ambiance du pub, le patron british, la Guinness qui coule à flot) et ici (les Girondins de Bordeaux, les gens qui étonnamment parlent français (ça continue à surprendre mes oreilles), le fromage de chèvre dans mon burger), je sais pas, ça résonne d’une façon toute particulière et… c’est sweet.

Ce qui est derrière moi est magique, incomparable, inoubliable, profondément ancré en moi pour le reste de mes jours. Et je suis loin d’être rassasiée. L’envie de recommencer a déjà commencé à me chatouiller. Bien avant même que je ne remette les pieds à Paris. Mais devant, bien que j’ai du mal à voir plus loin que le bout de demain, il y a des tas de samedis soirs, de pubs, de burgers et de matchs. Je ne sais pas quel goût ils vont avoir. Mais celui-ci a un joli parfum et me donne envie de laisser venir les autres…

Réapprendre la frustration

461.

C’est le nombre de jours que j’ai passé à faire tout ce que je voulais, absolument tout ce que je voulais, rien que ce que je voulais. Sans restriction. Sans contrainte. Sans personne pour me dire « Ah non ! Ça, c’est pas possible… ». Ou « Tu préfères pas plutôt faire autre chose ? Manger autre chose ? Aller autre part ? A une autre heure ? ». Et bizarrement, je viens seulement d’en prendre conscience. Ici. En rentrant. En recommençant à interagir avec les miens.

La rumeur dit que j’ai un fort caractère. Version politiquement correct du fait que je n’en fais globalement qu’à ma tête. On pourrait donc se dire que la différence ne doit pas être flagrante. Et pourtant si. Le simple fait de devoir tenir compte de l’avis des autres. Parce que oui, dans un monde civilisé, si on ne veut pas passer pour la dernière femme des cavernes, on tient compte de l’avis et de la vie des autres. De leurs emplois du temps. Du fait qu’on ne peut pas appeler les gens quand bon vous chante. Ni les voir quand l’envie vous en prend. Il faut planifier les choses, organiser, consulter, ménager les susceptibilités, se retenir, … Pfiou ! Ça demande une énergie de malade. Et il faut réapprendre la frustration. Ces toutes petites frustrations du quotidien qu’on subit sans même s’en rendre compte, qu’on oublie et que je vis chaque jour comme des drames intergalactiques.

Le monde a arrêté de se plier à mes 4 volontés  et je trouve ça profondément injuste. Bon, certes, j’ai un peu honte d’avouer tant de nombrilisme quand même. Mais je fais la grimace : on y prend goût à cette foutue liberté !

Alors la question se pose : être libre c’est être seul(e) ? Et être entouré(e) c’est forcément être enchaîné(e) ? Non, je ne crois pas. Echanger un regard complice, se couper la parole, partager un fou rire, pour tout ça, ça vaut quand même le coût de supporter un tout petit peu d’attente, de restriction, de frustration quoi !

Ne pas avoir de prochaine étape

Ca fait quelques jours que j’ai posé mon sac maintenant. J’ai commencé un travail d’excavation des affaires entassées là-dedans depuis plus d’un an mais soyons honnêtes, ça n’avance pas vraiment. A vrai dire, ça s’aggrave même. Chaque jour qui passe voit la surface visible du parquet de ma chambre réduire un peu plus. Et non, l’idée de faire place nette n’est pas très tentante. Ca voudrait dire faire du tri, tout mettre dans des boites, tout remiser au fond des placards et surtout devoir se mettre à regarder devant. Et ça… bouh ! ça m’emballe pas. Mais alors pas du tout.

Parce que le voilà le vrai problème au fond. Depuis près de 2 ans, je ne fais que ça regarder devant. D’abord les préparatifs du voyage. Barrer chaque ligne de la to-do list, en rajouter un peu chaque jour, imaginer, se projeter, rêver à ce que sera cette expérience… je le savais et j’en ai bien profité mais on ne le répètera jamais assez : préparer le voyage, c’est déjà voyager.

Et puis dès la première minute du premier vol, je n’ai plus fait que ça. Préparer la prochaine étape. Potasser les guides de voyage. Atterrir où. Aller voir quoi. Rencontrer qui. Comment. Au début, tout était réglé comme du papier à musique. J’étais encore en mode « vacances ». Quand t’es en vacances 15 jours, t’optimises chaque journée. Tu veux tout voir, tout faire, tout goûter, t’as surtout pas de temps à perdre. Et puis au bout d’un moment, j’ai commencé à lâcher du lest. Finies les réservations d’hôtel. Finies les réservations de transport. Finies les plannings établis à 15 jours. Et parfois même, fini le Lonely Planet. Et là, j’ai commencé à vivre ce pour quoi j’étais partie.

Mais dans ma tête, ça ne m’empêchait pas de préparer sans arrêt la prochaine étape. La prochaine ville. Le prochain bus. Et de changer d’avis toutes les 15 minutes. Mais tout de même. Quand on ne dort jamais plus de 3 nuits de suite au même endroit, se demander où on sera demain fait partie des questions qui arrivent assez rapidement après avoir ouvert les yeux chaque matin. Et depuis 15 jours… plus rien.

Bah non. Quand je me demande « Bon alors… où tu vas après ? », la seule et unique réponse c’est « … bah… ». Et ça fait tout bizarre.

Pas de plan. Pas de projet. Pas de prochaine étape. Tout à coup, la ligne d’horizon n’existe plus. Je suis dans un brouillard si intense que j’en perds le sens de l’orientation. Et je me demande comment on fait pour relancer la locomotive. Et ai-je même envie de relancer la locomotive… ?

Les jours filent. Entre les rendez-vous médicaux, les décorations de Noël, les retrouvailles avec les potes qui eux, n’ont pas le temps, ils bossent, et toutes sortes de broutilles qui remplissent mes journées et auxquelles j’essaie de donner un sens.

J’étais celle qui voyage, je suis devenue celle qui est rentrée. Rien ne me définit plus vraiment. Je ne sais pas où je vais et je ne sais pas ce que je veux faire. Je me laisse porter par le courant. A ceux qui croient qu’on revient forcément de 16 mois d’introspection avec des certitudes, je réponds… non. A ceux qui pensent également qu’on revient forcément de 16 mois de voyage totalement différent de ce qu’on était en partant, je réponds non aussi. Ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre.

Ne sachant qu’une seule chose pour sûr : rien ne m’est impossible.

Allumer la lumière, secouer la porte de la douche et prendre une grande claque

Quand les roues de l’avion ont enfin touché le tarmac, j’ai fermé les yeux très fort et j’ai espéré de toutes mes forces ne pas ent… « Bienvenue à Paris Roissy Charles de Gaulle. Il est midi et demie et la température extérieure est de 10°C… Blablabla… » Et mer-deuh ! En même temps, il aurait fallu un miracle pour que cet instant n’arrive pas. Ou il aurait fallu que j’influence le cours des évènements un peu plus violemment. Un peu plus tout court.

Mais bon. Voilà. Je suis là et autant voir le bon côté des choses. Le douanier jette à peine un regard à mon passeport, la prunelle de mes yeux, et hoche la tête en me faisant signe de passer. Cette fois, j’y suis. En France. Retour au point de départ. Ça s’entrechoque dans ma tête, je n’essaye pas vraiment de comprendre, j’analyserai plus tard. Tous ces gens autour de moi qui parlent français… beurk ! J’attrape mon sac (une dernière fois) et je m’éloigne à grands pas. Mon frère est venu me chercher (oui, finalement, 30kgs de sacs à traîner dans le RER, je me suis dit que ça n’était pas si rigolo que ça…) et il poireaute depuis près d’une heure de l’autre côté des barrières. Il n’a pas changé. Et moi ? Ai-je changé ? Un peu de l’extérieur, certes, mais de l’intérieur… ? Plus tard ! Les bilans, les analyses, plus tard ! Là, ma rétine attrape au vol des petits bouts de choses si familières et que pourtant, je n’ai pas aperçues depuis une éternité. Mais on ne traîne pas. Hop hop, on file au parking, hop hop, on jette les sacs dans le coffre et nous voilà débouchant enfin à l’air libre, le soleil dans le coin du pare-brise. Mon frère tripote son GPS. « Tu sais pas rentrer à la maison ? Laisse ! Je vais te guider… » Aussi spontanément que ça. Parce que pas un panneau n’a changé depuis la dernière fois. Que l’A1 mène toujours au périph’. Parce que la porte d’Auteuil est toujours après la porte de Champerret. Que le pont de Billancourt court toujours par-dessus la Seine. Ce trajet que j’ai déjà fait des centaines de fois n’a pas changé d’un millimètre. En même temps, à quoi je m’attendais ? Un remaniement complet de la banlieue parisienne en 15 mois ? Non, pas vraiment… mais n’empêche, rien n’a changé et ça me surprend un peu quand même. Les derniers mètres avant d’arriver sont les pires. J’ai comme l’impression que mon quartier, celui dans lequel j’ai grandi depuis 25 ans, a rétréci. Les rues sont plus étroites, les maisons plus petites… Je sais que c’est dans ma tête, que dans quelques jours je ne verrai plus aucune différence mais là, ça fait un drôle d’effet.

Je sonne à la porte de ma maison. Oui, je suis pas partie avec les clés, hein, vu le nombre de trucs que j’ai semés tout le long de la route, ça aurait été ballot… Ma mère vient ouvrir. Elle ne savait pas que je rentrais aujourd’hui. Bah oui, c’est une surprise en quelque sorte quoi. Passées les retrouvailles, je monte mes affaires dans ma chambre. Il fait sombre, j’allume la lumière. Mon index se tend automatiquement à la bonne hauteur et trouve l’interrupteur du premier coup. Avant même de comprendre ce qui est en train de se passer, l’ampoule s’allume. Et je réalise. Je n’ai pas eu besoin de regarder où était l’interrupteur. Je savais. Mon bras savait. Exactement. Je n’ai pas mis les pieds dans cette chambre depuis 15 mois et pourtant, c’est comme si j’avais fait ce geste la veille.

Ô. Mon. Dieu.

Je suis consternée. C’est donc vrai ? On peut réellement avoir l’impression de ne jamais être parti ? Je ne pouvais pas le croire. Mais ces petits réflexes de la vie quotidienne qui se sont pourtant fait discrets pendant ce long vagabondage sont ancrés bien trop profond. Et ressurgissent plus vite que leur ombre. Flippant.

Et ça ne s’arrête pas là. La nuit dans l’avion, le décalage horaire, le séisme d’amplitude 35 dans ma tête, j’ai besoin d’une douche. Long story short, chez moi, la porte de la douche est un peu de travers et il faut la secouer quand on sort pour ne pas transformer la salle de bain en piscine. Et c’est la claque. Je regarde, incrédule, mon bras qui agite cette porte sans même que mon cerveau en ait donné l’ordre. Mais comment est-ce possible ? Comment mon propre corps peut-il me faire une blague pareille ? C’est vraiment pas juste. Alors à quoi ça sert d’avoir fait tout ça si à la première occasion, mon cerveau remet ses charentaises ? Non vraiment, la claque.

Alors oui, l’euphorie du retour, revoir sa famille, ses amis, ne pas les voir seulement découpés en pixels par Skype mais se serrer dans les bras, voir briller leurs yeux, ça n’a pas de prix. Mais j’ai la joue qui chauffe quand même…

This is the End…

Hold your breath and count to ten

Feel the earth move and then

Hear my heart burst again…

So.

This is it comme on dit.

Aujourd’hui c’est le dernier jour. Le dernier jour de ce truc un peu dingue que j’ai commencé il y a 15 mois. Ce soir, je monterai dans l’avion une dernière fois, je sortirai mon passeport une dernière fois et je regarderai s’éteindre dans les nuages les lumières de cette aventure qui m’a transportée depuis le premier jour.

Comme tous les derniers jours, celui-là apporte son lot de dernières fois.

La dernière fois que je me réveille in the city.

La dernière fois que je fais mon sac.

La dernière fois que je plante mes dents dans mon everything bagel.

La dernière fois que je me rince les oreilles à coup de sirènes, de klaxons, d’annonces incompréhensibles dans le métro, d’aboiements furieux de chihuahuas et d’éclats de rire le long de la 5th Avenue.

La dernière fois que je fixe à m’en brûler les yeux la skyline comme si je pouvais me la graver sur la rétine, pour de bon.

La dernière fois que je traverse le Brooklyn Bridge. Sous la neige aujourd’hui.

La dernière fois que je me colle des pépites de chocolat jusqu’au milieu des joues en dévorant un cookie de chez Bouchon Bakery.

La dernière fois que je joue à cache-cache avec les écureuils dans Central Park.

Alors ce soir, quand je claque la porte derrière moi et descend les quelques marches du perron, j’ai mal au ventre. Il neige. Les voitures roulent au ralenti et les trottoirs sont déjà tout blancs. Mes sacs me scient les épaules. C’est à contre-cœur que je valide une dernière fois ma Metrocard et quelques minutes plus tard, j’ai déjà quitté Manhattan. Le charme de l’aéroport opère tout de même un peu. J’adooore les aéroports. Ces avions qui emmènent des gens vers des destinations inconnues, qui en ramènent « à la maison », toutes ces émotions mélangées, je pourrais me droguer à ça. J’observe tous ces gens qui se croisent, se frôlent, ne se connaissent pas mais sont plein d’espoirs. C’est ça un aéroport : une grosse bulle d’espoirs. Ca y est, j’ai passé la sécurité, je suis techniquement « hors du territoire américain ». Je me dirige lentement vers la salle d’embarquement que je repère de loin : un troupeau de gens qui parlent fort et qui râlent… des Français ! Ca faisait un bon moment que j’en avais pas vu autant en même temps ! Et ça fait moyen plaisir tout de même… En traînant des pieds dans le couloir, j’entends deux personnes discuter derrière moi. Deux mecs, entre 20 et 30 ans. Avec cette si jolie façon de parler du 9-3 que, pour le coup, je n’ai vraiment pas entendu depuis une éternité. Je souris.

Je m’installe dans l’avion. Il est loin d’être plein et si on me laissait faire, y aurait encore une place libre supplémentaire. Je colle mon nez au hublot. Il est froid. La neige s’est transformée en pluie et le petit bonhomme sur le tarmac est tout engoncé dans sa capuche. L’avion se met à rouler doucement sur la piste et prend sa place dans la file d’attente pour le décollage. « PNC aux portes… ». L’avion tremble, la terre s’éloigne, les lumières de New York se font de plus en plus petites puis disparaissent derrière les nuages…

C’était la dernière fois.

Oh, évidemment, on peut raisonnablement se dire que ça n’est pas vraiment la dernière fois. New York ne va pas disparaître et moi non plus. Mais quand même. Je peux pas dire que ça ne me fait rien. On peut même dire que j’ai les boules. Grave.

Parce que non. J’ai pas envie de rentrer. Vraiment pas. Tellement pas. Je voudrais continuer à découvrir, avancer, me perdre, revenir, apprendre, essayer, défier, apprécier, profiter, prendre le temps. Enfin, soyons honnête, qui ne voudrait pas de ça ? Sauf que dans la vie, bah… on fait pas toujours ce qu’on a envie !

Bien sûr, j’aurais pu me débrouiller pour ne pas avoir à rentrer. Je n’ai pas fait ce choix là pour l’instant. Et puis quand même, revoir tout le monde, les potes, la famille… c’est plutôt sympa comme perspective en fait. Non, le vrai problème ou tout du moins la véritable appréhension, c’est pour après. Après l’inévitable phase d’euphorie des premières semaines viendra le temps où le soufflé retombera. Lentement mais sûrement. Et là… inch’allah !

Et de 15 !

J’avoue que là, j’ai un peu le cœur lourd…

J’ai fait l’autruche tant que j’ai pu mais c’est officiel, la semaine prochaine, quelque chose comme « Bienvenue à l’aéroport Roissy Charles-de-Gaulle… » sonnera à mes oreilles…

Et devinez quoi ? Non, j’ai pas vraiment envie de rentrer. Non pas que vous ne m’ayez pas manqué ! Bien sûr que si ! Et rien ne me fera plus plaisir de de vous revoir tous autant que vous êtes ! Mais… un petit morceau de moi est devenu nomade et va avoir bien du chagrin à défaire mon sac à dos. (Non, me balader à Paris avec mon sac sur le dos n’est pas une option réaliste…)

Malheureusement, il semblerait que la Banque Mondiale de Mes Economies a fait faillite… Des fois, même quand on veut pas, on se doit d’être un peu matérialiste…

Alors croyez moi, je profite bien bien bien des derniers jours, des dernières heures, des dernières minutes… comme si j’allais plonger en apnée pour une durée indéterminée. J’ai vécu une aventure extraordinaire, je ne suis même pas sûre d’avoir bien réalisé ce qui m’arrivait, j’en ai adoré chaque jour, chaque heure, chaque minute et si quelqu’un sait comment faire pour repartir pour un tour demain… dites moi où on signe !!!

AL & the city

NDLR : Comme chacun sait, j’écris maintenant un près de 2 mois de retard… Non, je n’en suis pas fière et non, je n’ai aucune excuse. La faute au temps qui passe et qui ne revient pas sans doute…

Je suis donc New Yorkaise. Je veux dire, pour une fois, je peux dire « J’habite ici ». Pour de vrai. My current address est à Manhattan. Et rien que ça, ça suffit à me plaquer un sourire sur les lèvres quand j’ouvre les yeux. Même quand c’est à 2h du mat alors qu’une ambulance vient de passer devant ma fenêtre, en trombe et toutes sirènes dehors.

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Je ne prends plus de plan quand je sors, je sais maintenant repérer au premier coup d’œil où est le nord, le sud, l’est et l’ouest (le minimum vital quand vous voulez un tant soit peu vous orienter dans cette ville) et j’ai ce qu’on pourrait appeler une relation suivie avec le marchand de bagels au coin de ma rue. Et rien ne saurait me rendre plus heureuse.

Ca fait donc 5 semaines que j’arpente les trottoirs du paradis. Oui, pas la peine de faire semblant. Ici, c’est le paradis. There’s no place like New York City. Et sur mon échelle des villes qui déchirent leurs races (non Maman, ce n’est qu’une façon de parler, mon niveau de langage n’a rien de scandaleux, la langue française est riche et il faut en explorer les infinies possibilités), celle-ci est de loin celle pour laquelle je vendrais ma mère justement (… non Maman, c’est toujours une façon de parler, j’ai pas mis d’annonce sur Le Bon Coin…).

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Alors qu’est-ce que j’y fais ? Parce que c’est pas comme si c’était la première fois que s’étalaient sous mes yeux ces files ininterrompues de taxis jaunes qui font jaillir des gerbes d’eau à chaque virage, ces buildings qui lancent vers le ciel leurs pointes conquérantes, ces néons clignotants qui illuminent si fort Times Square qu’on ne sait plus s’il fait jour ou s’il fait nuit, ces trottoirs gris où des milliers de gens se croisent en se frôlant à peine de jour comme de nuit également et ce ciel au bleu si particulier comme si ici, tout était légèrement plus intense qu’ailleurs.

Et bah… pas grand-chose en fait.

Déjà, pour la première fois depuis 14 mois, je n’ai plus à penser à « la prochaine étape ». La prochaine étape, ça fait un moment qu’elle est définie et sincèrement, mieux vaut ne pas trop y penser.

Pour la première fois depuis 14 mois, j’ai MA salle de bain. Où je peux laisser ma brosse à dents sur le rebord du lavabo, mon shampoing dans la douche et mon pyjama traîner par terre sans craindre ni disparition ni rapatriement sanitaire.

Pour la première fois depuis 14 mois, j’ai une boîte aux lettres. Et j’y reçois du courrier.

Pour la première fois depuis 14 mois, je suis en terre connue. Et ça change tout.

D’abord je retrouve mes petites adresses. Le meilleur bagel, le meilleur cookie, le meilleur burger, la meilleure pizza, la meilleure crack pie… Si, je crois qu’ils mettent vraiment du crack dedans vu le niveau addictif de cette petite cochonnerie…

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Que celui qui dit qu’on ne mange pas bien dans cette ville déguerpisse loin de ces pages ! Rien ne vaut un festin de canard laqué pékinois mais quand même ! C’est bien simple, je pourrai passer la journée à manger en flânant d’un bout à l’autre de Manhattan. Il n’y a qu’ici qu’on trouve du dhal aussi épicé qu’à Delhi, des xiao-long-bao aussi savoureux qu’à Shanghai, des tempuras aussi légers qu’à Tokyo, des laksas aussi parfumés qu’à Kuala Lumpur, des chicharrones aussi croustillants qu’à Lima et des croissants au beurre. En cherchant bien, je suis même sûre qu’on peut trouver des petites brochettes d’hippocampe. Osez me dire que votre estomac a jamais été plus à la fête ailleurs…

Une fois que j’ai englouti 6000 calories, faut bien se bouger un peu. Et j’ai beau avoir acheté une Metrocard et connaître les gros rats qui peuplent les couloirs du métro par leurs prénoms, c’est bien en usant mes semelles sur les trottoirs et en sautillant élégamment par-dessus les flaques que je me sens encore plus from the city.

Alors je marche. Au nord, au sud, à Brooklyn, à Williamsburg, à Staten Island, le nez en l’air, les mains enfoncées dans les poches et un bonnet vissé sur la tête. Ah oui. Parce qu’il fait froid hein, quand même… Mais loin de moi l’idée de me plaindre ! (Et puis, c’est franchement pas le genre de la maison, hein ? Tout le monde en conviendra…) Honnêtement, qu’y a-t-il de mieux qu’une belle journée d’hiver avec le froid qui vous mord les joues, le ciel bleu perçant, le soleil qui vous fait plisser les yeux et les écureuils de Central Park qui se courent après dans les feuilles mortes ? Je vous le dis, rien.

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Alors bien sûr, le temps de quelques jours, j’ai rejoué à la touriste avec mon père qui est venu découvrir la Grosse Pomme et son trognon pourri. Oui, parfois, la ville est moche. Mais d’un moche joli. Touchant. C’est difficile à expliquer. Et chacun perçoit la ville à sa manière, chacun y voit des choses différentes, certains en tombent amoureux, certains y sont déçus mais personne n’y reste indifférent.

Et puis le reste du temps, j’ai juste respiré, j’ai essayé de me fondre dans ces avenues interminables, ces groupes d’étudiants autour de Columbia, ces épiceries à chaque coin de rue, ces Upper East Siders qui promènent leurs chihuahuas dans des poussettes, ces enfants qui courent à perdre haleine sur les pelouses de Central Park, ces innombrables immigrés qui font résonner autant de langues dans le capharnaum urbain, ces touristes qui hésitent sur la direction à prendre, un guide à la main, ces types grimpés sur des échelles en train de rendre la ville encore plus jolie, les annonces incompréhensibles des conducteurs de métro, cet art et cette manière de boire son café en marchant sans se brûler, ces bavardages avec la fille qui vous fait une manucure, ces ballons qui flottent dans les airs pour Thanksgiving, ces écureuils qui viennent quémander des miettes de cookies à Madison Square, ces parfums, ces odeurs qui vous transportent ou vous prennent à la gorge quand on s’y attend le moins, ces sirènes qui hurlent à tout bout de champ, ces flics dans leurs grosses voitures qui se garent en double file pour aller chercher des donuts, ces marchés de Noël où on vous fait goûter du chocolat « à ne surtout pas croquer », ces homeless qui ont le regard aussi triste qu’ailleurs et qu’on évite soigneusement de regarder dans les yeux justement, la musique, les rires, les pleurs, les cris, les klaxons, le Christmas Tree qui scintille, les feuilles mortes dans lesquelles je danse et le thé que je bois à petites gorgées en regardant le monde depuis ma fenêtre…

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Bref, j’ai marché, je me suis perdue, retrouvée, J’ai absorbé la ville par tous les pores de ma peau et j’ai réalisé que non, je n’avais pas une chance extraordinaire. J’ai fait des choix. Des choix qui me rendent heureuse, vivante, légère, enthousiaste, confiante, optimiste, déterminée.

Je ne sais pas de quoi demain sera fait (alors là… pas la moindre idée !) ni où mon chemin continue mais une chose est sûre, New York… c’est chez moi.

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Photos ici.