C’est d’ailleurs à ça qu’on les reconnaît.
Parce que, aussi incroyable que ça puisse paraître, dans l’humanitaire, comme partout ailleurs, y a des cons. La connerie est une denrée assez universellement répartie. Je sais pas si faut trouver ça rassurant.
Comme partout ailleurs, y a des gentils cons. Ceux qui sont juste un peu agaçants, un peu à côté de la plaque. Comme celle qui, à peine débarquée à Lubumbashi, te demande à quelle heure ferme la piscine ou si t’as les coordonnées d’une esthéticienne mais seulement si elle épile au fil ou encore si on peut pas éteindre le wifi parce qu’elle ne supporte soi-disant pas les ondes. Agaçante mais pas fondamentalement méchante.
Mais malheureusement, y a aussi des gros cons. Ceux qui font de ta vie un enfer. Ceux que tu te demandes comment et surtout pourquoi ils sont là. Je veux dire, je comprends qu’on n’ait pas tous la vocation humanitaire chevillée au corps. Moi la première, c’est pas comme si j’avais toujours eu une envie irrépressible d’aider mon prochain. Mais je me targue d’être plutôt ouverte d’esprit et d’aimer l’idée d’aider concrètement des gens qui en ont vraiment besoin. Visiblement, tous les gens qui sont ici ne sont pas exactement dans ce cas… Je vous donne un exemple. Y a un type qui est arrivé ici il y a 2 mois. Moi, je ne l’ai pas vu, il est arrivé pendant que j’étais en France. Il a passé 2 jours à Lubumbashi avant de partir sur le terrain. Les gens qui l’ont vu l’ont trouvé un peu agaçant (il parlait trop et trop de lui-même) mais plutôt vif et motivé. Moi, je communique avec lui par mail. Certes, je suis agacée par le fait qu’il m’appelle « ma grande » alors qu’on n’a pas gardé les cochons ensemble mais parfois, je suis un peu susceptible alors ne nous formalisons pas. Par contre, le fait qu’il dénigre constamment le travail de ses collègues en général et de son assistant congolais en particulier me dérange franchement. Je considère que traiter son assistant de « fonctionnaire de l’humanitaire » quand le gars bosse depuis 10 ans dans le métier et toi depuis 3 semaines est totalement déplacé. De même lorsque tu pinailles pour payer les heures supplémentaires de gens qui sont sur le terrain depuis plus de 4 mois non stop sans rentrer dans leurs familles et que tu les fais trimer samedis et dimanches inclus. Mais ça, c’est mon opinion, et tant que le chef de projet se dit satisfait du boulot abattu, je ne remets pas en cause les compétences d’un gars qui est peut-être juste un goujat.
Là où ça se corse, c’est quand j’entends dire qu’un soir, alors qu’il est rentré plus tard que d’habitude du bureau et qu’il ne lui restait rien à manger (oui, parfois, ça arrive), il s’est mis à insulter ses collègues en les traitant de « gros Africains » et en les comparant à lui-même « qui n’a que la peau sur les os » et qu’il a fini par hurler que la prochaine fois, il cracherait dans les casseroles pour être sûr d’avoir à manger…
Certes, ce job peut être stressant. Et il arrive de perdre ses nerfs. Mais quand on est dans ce pays depuis plus de 48 heures et qu’on sait qu’un coup de poignard dans le noir ou une crémation improvisée peut arriver n’importe quand, on sait aussi que proférer des insultes à caractère raciste n’est peut-être pas la chose la plus maligne à faire…
Mais admettons, le gars perd ses nerfs donc puis la nuit passe, il se reprend, il se rend compte qu’il a complètement déconné et il présente ses excuses à l’équipe au grand complet. C’est un peu tard, le mal est fait mais chacun y met du sien et tout le monde essaye de reprendre des relations cordiales ou tout du moins normales.
Sauf que. La semaine suivante, il force son assistant à écrire une lettre dans laquelle le pauvre gars admet faire son boulot par-dessus la jambe et avoir besoin qu’on le traite (je cite) « comme un enfant parce qu’il ne comprend rien ». Là, je sens que la Cellule des Abus va pouvoir venir faire une descente… Alors j’alerte au-dessus de moi. J’appelle d’ailleurs notre ami le gros con et lui explique qu’il ne peut pas faire ça. Que c’est illégal. Lui, il s’énerve, il hurle dans mes pauvres oreilles et me jure que son assistant n’est qu’un bon à rien qui fait exprès de lui pourrir la vie. Moi, je pense surtout que celui qui pourrit la vie des autres… bref… Là encore, il est vrai que l’assistant n’est pas tout blanc (hum… on avait dit pas de blague raciste…) mais il n’a certainement pas mérité d’être traité de la sorte.
La cerise sur la cupcake arrive quelques jours plus tard lorsqu’un des hauts dignitaires du village où travaille notre gros con vient lui présenter une facture pour la location d’une maison que le projet occupe depuis plusieurs semaines. Le prix est quelque peu… disproportionné. C’est vrai. En même temps, si on prenait le temps de négocier le prix avant de refaire la toiture de ladite maison, on éviterait les surprises du genre. Là, notre gros con pète les plombs. Il se met à hurler que les Congolais sont des enculés et que le Congo est un pays de voleurs et que l’Afrique ne pourra jamais s’en sortir avec des enculés pareils. Oui. Texto. Le gros con, ça ose tout. Ça n’a peur de rien. Même pas de mettre éventuellement la vie de ses petits collègues en danger.
C’est là qu’on a collégialement décidé d’en faire un 20kg/24heures. Dans le jargon, ça veut dire qu’on envoie un avion dans les 24 heures le récupérer lui et ses 20kg de bagages. Bon, je vous passe les petits détails techniques comme faire revenir en urgence son passeport qui se promenait à Kinshasa ou le fait que ce soit moi qui ai dû lui annoncer qu’il rentrait illico presto à Paris (j’avais mis 2 bureaux entre lui et moi, pour pas prendre de risque…) et qu’on allait se passer de ses services (ne passez pas par la case départ, ne touchez pas 20 000 francs et bien le bonjour !).
Et vous savez ce que j’ai fait une fois le gros con hors d’état de nuire ? Je suis allée chercher les horaires de la piscine… Finalement, les autres, je les aime bien…
Toujours aussi drôle cette Anne-Lise ! Courage « ma grande » !!!
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