Ça y est. Le Congo, c’est fini.
J’ai quitté le ciel bleu et blanc et la poussière rouge des rues de Lubumbashi. J’ai mené une dernière bataille contre l’armée de gens trop bien intentionnés qui voulaient porter ma valise pour moi, l’enregistrer pour moi, faire tamponner mon passeport pour moi. J’ai senti une dernière fois la sueur couler dans mon dos pendant que les pales du ventilateur s’agitaient mollement plusieurs mètres au-dessus. Puis je me suis docilement soumise aux dernières fouilles de sacs et à la longue file d’attente sur le tarmac. Une fois dans l’avion, je me suis enfin pelotonnée sur mon siège, j’ai enfoncé mes écouteurs dans mes oreilles et j’ai collé mon nez sur le hublot. C’est encore un vrai ballet dehors. Il y a un nombre pas croyable de gens qui vont et viennent autour de l’appareil. Y en a qui sont assis, qui regardent. Puis bientôt, ils disparaissent les uns après les autres, les moteurs s’allument et on se met à rouler jusqu’au bout de la piste. Je le sens vibrer une dernière fois sous moi, ce Congo qui m’aura tant appris, tant exaspérée, tant fait rire. C’est drôle, malgré tout, y a un truc qui se sert au fond de moi au moment où l’on s’arrache du sol. C’est peut-être juste la force centrifuge.
Les heures et les nuages défilent. Addis Abeba. La première fois que j’ai mis les pieds dans cet aéroport, tout était si exotique, si nouveau. Aujourd’hui, je peste contre les touristes qui déambulent le nez en l’air à la recherche d’indications sur les écrans. Y en a pas, ils ne fonctionnent pas. Ils ne sont pas branchés. La nuit tombe pendant que j’avale une grande crêpe éthiopienne trempée dans des sauces épicées. C’est pas mauvais ça ! Peut-être que la prochaine fois je devrais demander une mission en Ethiopie…
Une autre file d’attente, une autre fouille, un autre avion. Une nuit torticolis. Puis le choc des roues sur le sol. « Bienvenue à Roissy Charles de Gaulle… ». Des couloirs, les yeux encore rouges et gonflés de sommeil des passagers qui se regardent comme s’ils ne savaient pas vraiment où ils sont. Le « Bonjour ! » sonore des policiers qui contrôlent les passeports. Le tapis à bagages qui tourne de longues minutes vide. Les premières valises qui sortent toute enturbannées de plastique vert. Ma valise. Tous ces rituels, tous ces rites de passage, tout ça pour me retrouver dans les couloirs gris et froids de Châtelet-les-Halles, traînant mes 30kg sur roulettes derrière moi en soufflant.
Quand je sors enfin du métro, il est 7h. Premier choc : il fait nuit noire. Ah oui. Ici, le soleil ne se lève pas à 5h. Et puis il fait froid ! Enfin, il fait 10°C. Ce qui, je vous l’accorde, pour un 21 décembre à 7h du matin, est inhabituellement doux. Mais avec juste ma petite polaire sur le dos (bah oui, quand je suis partie le 16 septembre, y avait pas vraiment besoin de plus) je grelotte comme une pauvrette. Et puis, inutile de vous dire que les bureaux de MSF ne sont pas exactement ouverts à cette heure-ci. Me voici donc sur le trottoir avec armes et bagages, enfin surtout bagages. Il est 7h et Paris s’éveille (oui, on est en heure d’hiver). Dans la rue, le camion poubelle passe lentement au rythme de son gyrophare orange, un SDF est emmitouflé dans un sac de couchage sous une porte, le Starbucks reçoit ses livraisons. Sur le trottoir d’en face, la boulangère aligne soigneusement les croissants dans sa vitrine. C’est donc chez elle que je décide de me réfugier. Et tandis que, perchée sur un tabouret, les volutes du tout petit café chatouillant mes narines, le beurre du croissant faisant briller mes lèvres et mes doigts, j’observe les gens emmitouflés dans de grosses écharpes se presser pour disparaître dans la bouche du métro, je réalise : le Congo, c’est fini. Retour à cette autre vie.