Loft Story

Ça fait maintenant 3 mois que je suis à Paoua. Que j’y travaille, que j’y habite… que c’est chez moi quoi ! Mais vous vous demandez sûrement à quoi ça ressemble une maison à Paoua… Je vais essayer de vous faire un tableau.

Alors, la maison, c’est en fait une grande parcelle rectangulaire entourée d’un mur d’enceinte de 3 mètres de haut. Sur 3 côtés sont alignées une vingtaine de chambres donnant sur une grande cour en terre battue au centre de laquelle une « petite maison » fait office de salle à manger. Dans deux coins opposés, il y a des petits bâtiments en béton avec les douches (à l’eau froide) et des toilettes (un trou dans le sol) et sur le dernier côté, il y a une pièce qui fait office de cuisine et une autre de buanderie. D’un côté de la « petite maison », il y a une paillotte et de l’autre, un grand auvent en tôle et en paille avec des canapés en mousse de matelas recyclée. Ce sont les salons en quelque sorte. Comme on est chanceux, on a l’électricité 24/24 ce qui veut dire que les ventilateurs tournent 24/24 dans chaque pièce. Je sais pas si vous visualisez très bien ce que ça donne mais globalement, c’est plutôt pas mal. Là, vous avez le décor.

Une vingtaine de chambres, ça veut pas dire qu’il y a une vingtaine de personnes qui vivent là. On est plutôt une quinzaine en permanence et quelques visiteurs qui viennent de Bangui de temps en temps. Une coloc à quinze, c’est pas loin de ressembler à une colonie de vacances. Mais une colonie de vacances où on n’a pas le droit de sortir et où tes petits copains de dortoir boivent du whisky… « Quinze adultes, zéro caméra, enfermés ensemble pendant 6 mois… »… let’s face it, ça ressemble plutôt à Loft Story. Hormis l’absence de caméras (et de piscine, évidemment…), on est donc pas loin d’une bonne télé-réalité. Sauf que personne n’orchestre les petits et grands drames qui rythment notre existence. Oh non ! Pour ça on a besoin de personne ! On se débrouille très bien tous seuls, merci !

Imaginez… du jour au lendemain, vous vous retrouvez propulsés à des milliers de kilomètres de chez vous, dans un pays au climat parfaitement inhospitalier (55 degrés entre 12 et 16h, oui, c’est ce qu’on appelle parfaitement inhospitalier), où vous avez parfois du mal à comprendre la façon de raisonner des gens (traditions, religions, coutumes, appelez ça comme vous voulez mais soyez sûrs que tout un tas de choses vous échappe…), où la nourriture est souvent loin d’être réconfortante (on mange quoi aujourd’hui ? ooooh… de la tête de cabri… chouette…), fort fort loin de votre zone de confort (aaaaAAAAAHHH ! C’est quoi ce put***  de truc qui vient de me tomber sur la tête pendant que je prends ma douche bor*** de m*** !!! Ah c’est rien ! C’est une grenouille…) et vous vous retrouvez enfermés dans ce merdier avec ces personnes que vous n’avez jamais vues de votre vie, que vous n’avez pas choisies et avec qui vous allez désormais passer les 6 prochains mois de votre vie. 6 mois. 183 jours (à la louche). 4 392 heures. Presque 265 000 minutes. Parce que oui. Vous allez passer ces 265 000 minutes avec eux. A moins que vous preniez soigneusement soin de votre réputation d’asocial et que vous restiez enfermé dans votre chambre à agoniser sous les pales de votre ventilateur. C’est votre choix. Pas le mien.

En général, quand les gens me disent que je suis super courageuse de faire ce que je fais, ça me fait ricaner bêtement. Ça pourrait presque me mettre mal à l’aise même. Je suis très très loin de me sentir courageuse. Cela étant dit, se porter volontaire pour aller passer 265 000 minutes de sa vie en compagnie de complets inconnus dans un contexte pareil, ne peut confirmer qu’une chose : je suis effectivement un peu fucked up. Mais je suis pas la seule… Laissez-moi vous dresser le portrait de quelques-uns de mes nouveaux colocs donc…

D’abord, y a le mec qui ponctue chacune de ses phrases par une chanson de Léo Ferré. Au début, il te fait marrer. C’est vrai, il raconte plein d’histoires rigolotes sur sa grand-mère (« Comme disait ma grand-mère… »), il est super cultivé, il a vécu des tas de trucs… mais au bout d’un moment (15 jours je dirais), le grand show tous les soirs à l’apéro, ça devient lassant. Et puis peut-être que d’autres gens ont des trucs intéressants à raconter. Et toi, t’aimerais bien les entendre. Si l’autre voulait bien la fermer 10 minutes…

Y aussi le mec qui traîne des pieds. Ça n’a l’air de rien comme ça. Vous pensez même peut-être que je pourrais laisser les gens qui traînent des pieds vivre leur vie comme bon leur semble. Mais avez-vous déjà vécu avec quelqu’un qui traîne les pieds tout le temps ? Genre tout. Le. Temps. Bah désolée mais c’est purement et simplement insupportable. Si vous combinez ça au fait que le gars chante de la soupe R&B à tue-tête dans sa douche à 5h du matin (je rappelle que les douches ne sont pas à l’autre bout du village), très vite, il devient la tête de turc de la communauté…

Y a la fille qui a pas tout à fait compris que porter des pantalons en lin blanc n’était pas exactement approprié au sable rouge et à la poussière ambiante. Remarquez bien que c’est la même qui est venu avec un sèche-cheveux et qui se fait un brushing tous les matins. Elle, tu la vois jamais sortir de sa chambre avec la trace de l’oreiller sur la joue et le filet de bave séché sur le menton. Oh non ! Elle, elle est capable de changer 4 fois de tenue dans la journée : la tenue du petit-déj, la tenue pour aller au bureau, la tenue pour aller au marché, la tenue pour aller boire une bière chez les voisins… Au début, tu crois qu’elle est cinglée. Gentiment cinglée mais cinglée tout de même. Mais en fait, au fil des semaines, elle finit par se mettre à la page et prend désormais son café sous la paillotte en pyjama, les yeux mi-clos et les cheveux dressés sur la tête.

Evidemment, y a le mec qui te regarde un peu trop attentivement quand tu traverses la cour pour aller prendre ta douche enroulée dans ta serviette. C’est le même que celui qui te propose tous les soirs de te masser parce que tu chouines que t’as mal partout à force de passer tes journées assise sur une chaise en bois. Il se croit fin et spirituel et toi, tu lèves juste les yeux au ciel en te demandant à quel moment il va comprendre qu’il est juste lourd.

Y a la fille qui se lève à 5h du mat pour faire 45 minutes de corde à sauter. Les gens qui ont la patate à 7h le matin, ça énerve. Entre ça, le fait qu’elle se croit obligée de te tripoter le bras quand elle te parle et le sillage de Chanel N°5 qui flotte lourdement derrière elle, elle met tout le monde d’accord : on la regarde en soupirant et en levant les yeux au ciel.

Y a le mec que t’as du mal à cerner. Il est pas très bavard, tu sens qu’il sait pas trop sur quelle planète il est tombé. Puis les semaines passent, vous passez vos soirées à discuter de choses et d’autres, vous vous rendez compte que vous avez une vision du monde pas si différente et deux mois plus tard, c’est devenu un nouvel ami.

Y a la fille qui systématiquement décide de skyper sa famille ou ses amis le dimanche aprem quand tout le monde essaye de faire la sieste et qui croit que plus les gens sont loin, plus faut hurler sur ton ordi. Les murs sont en carton et la notion de vie privée est toute relative ici…

Enfin, y a la fille qui a apporté son hamac et qui passe son dimanche dedans à tricoter. Ah… attendez… celle-là, c’est moi…

On pourrait croire que tous ces gens me sortent par les trous de nez, right ? Mais détrompez-vous ! A quelques très rares exceptions près, je les aime bien. Bien sûr qu’on se tape tous sur les nerfs. Ça serait difficile de faire autrement honnêtement. Mais on s’adapte, on se supporte, on fait des compromis et puis de temps en temps, bah, quelqu’un finit par faire une remarque un peu acide, le ton monte et y a une porte qui claque. Alors faut jouer les médiateurs, laisser les gens vider leur sac, calmer les esprits et sortir des bières du frigo. En général, les deux jours suivants, Radio Moquette diffuse deux fois plus que d’habitude. « Ah ouais ? Il a vraiment dit ça ? Noooon… Franchement, je peux pas le croire… Mais t’en fais pas, il a bientôt fini sa mission. En même temps, tu sais, ça m’étonnes pas. La semaine dernière, je l’ai entendu dire blablabla… »

Notre petite communauté vit donc dans un univers parallèle où finir un pot de Nutella ou faire remarquer à quelqu’un qu’il rit un peu trop fort après 23h peut déclencher une guerre nucléaire. La beauté de tout ça, c’est que cet univers est tout à fait temporaire. Revenons dans 6 mois et rien ne sera comme aujourd’hui. Rien ne sera plus jamais comme aujourd’hui. Ce ne seront plus les mêmes gens, plus les mêmes blagues, plus les mêmes regards en coin. Tu trouveras peut-être ça 1000 fois mieux qu’aujourd’hui. Ou peut-être 1000 fois pire. Tu te demanderas sûrement pourquoi t’as accepté de revenir. En souvenir du bon vieux temps probablement. Mais tu réaliseras très vite que ce temps n’existe plus et qu’il ne survit que dans ta mémoire et dans celle de tes compagnons de cellule du moment, dispersés désormais aux 4 coins du monde…

En attendant, c’est Loft Story. Ça m’étonne presque que personne n’ait pensé à poser des caméras et à vendre le concept. Peut-être parce que finalement, la principale raison qui fait qu’on est tous d’accord pour venir s’infliger ces 265 000 minutes de vie commune, c’est que tout ce qui se passe à Paoua, reste à Paoua…

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