A Malemba, la vie s’écoule comme le long fleuve Congo. Douce et paisible en surface, parfois sombre et violente en profondeur.
Le matin, quand on vient à pieds au bureau à travers les ruelles ensablées, on voit les mamans qui papotent entre voisines, font frire quelques patates douces sur un brasero, font sauter sur leurs genoux leurs petits derniers. On voit les papas qui sont assis à l’ombre des manguiers, papotent entre voisins, sculptent un morceau de bois, moulent la terre pour en faire des briques. On voit les enfants qui jouent dans le sable et qui, dès qu’ils vous aperçoivent, vous courent après la morve au nez, les mains encore pleines de terre et crient « Kazungu ! Kazungu ! ». Tout ce petit monde vous salue de grands gestes et vous couvre de sourires. Des sourires qu’on rend tout en essayant de prononcer trois mots en kiluba ce qui les fait carrément éclater de rire.
Des sourires on en voit encore toute la journée : les journaliers qui viennent travailler et vous remercient de les avoir embauchés, la cuisinière qui se moque gentiment de vous quand elle essaye de vous apprendre à cuire le foufou, les motards qui viennent se faire payer leurs courses et comme ce sont toujours les mêmes, on a fini par devenir potes. Les heures s’écoulent, la chaleur devient écrasante, même les mouches ralentissent leur vol mais les sourires sont encore vifs et éclatants.
Des sourires, il y en a aussi à l’hôpital. Quand on passe la porte et qu’on lance un « wakamapoï !!! » à la cantonade. Qu’on croise le regard d’un parent dont l’enfant est sorti d’affaire. Quand on joue avec un autre bambin posé dans une bassine dans la cour qui éclabousse tout ce qui l’entoure. Le soleil décline, les ombres s’allongent, les poules se remettent en quête de miettes à picorer. Les sourires sont toujours immenses et éblouissants.
Et pourtant, parfois, il y aurait de quoi pleurer. De fatigue quand après plusieurs jours et malgré tous nos efforts un de ces minuscules enfants s’éteint, épuisé par la rougeole, le palu, la malnutrition, parfois les trois combinés. D’incompréhension quand on sait que sans l’intervention de MSF, des centaines d’enfants n’auraient pas survécu à cette épidémie. De rage quand on sait qu’il serait pourtant facile d’éradiquer cette maladie si les pouvoirs publics avaient quelques moyens supplémentaires. De désespoir quand on se dit qu’il y a tellement à faire pour améliorer les conditions de vie qu’il faudrait des siècles et des montagnes d’énergie pour faire une vraie différence.
D’ailleurs, de temps en temps, on entend des gens pleurer. Mais ce sont uniquement les sanglots d’une mère qui a perdu son enfant et qui se jette au sol de douleur ou encore les pleureuses qui défilent en tête des cortèges funéraires qu’on voit marcher vers le cimetière 4 à 5 fois par jour. Ici, la mort fait partie du quotidien. Les gens ne la cachent pas, les gens l’acceptent presque. Ici, c’est comme ça.
Ici, les gens sont forts. Un peu fatalistes, terriblement dignes et incroyablement forts. Et se prendre en plein visage le sourire d’une mère qui se moque de tes balbutiements en kiluba tandis que, dans ses bras, son enfant se bat pour respirer et pourrait bien abandonner à chaque seconde, c’est comme rouler sous une vague. Ça te coupe le souffle, ça te secoue tellement que tu ne sais plus où est la surface et ça te recrache sur la plage, un peu sonné.
A Malemba, la vie s’écoule comme le long fleuve Congo. Douce et paisible en surface, parfois sombre et violente en profondeur.