En voilà, une sacrée partie de rigolade !!!
En 8 jours, je dois recruter près de 60 personnes. Je commence donc par placarder sur le portail les offres d’emploi. Gardiens, infirmiers, hygiénistes, cuisinières, ménagères, lavandières, chauffeurs, … En 48 heures, je récupère presque 400 dossiers de candidatures que je dépouille méthodiquement. Je découvre les diplômes falsifiés, les lettres de motivation rédigées par les écrivains publics, les délicieuses tournures de phrase du genre « Monsieur, je viens auprès de votre haute personnalité solliciter une place vacante dans votre ministère dont la responsabilité vous est confiée, … ». 48 heures plus tard, j’affiche les listes des heureux élus qui devront se présenter aux entretiens. Et même avec seulement 15 minutes par candidat, ce sont plusieurs jours entiers qui sont consacrés à accueillir, questionner, remercier, expliquer que nous ferons notre choix et que nous afficherons les résultats dans quelques jours. Quelques belles crises de fou rire au milieu de tout ça. Un candidat infirmier à qui on demande « qu’est-ce que la rougeole compliquée ? » nous assénera avec un ton de professeur et le plus sérieusement du monde : « La rougeole compliquée… c’est un cas… qui présente les symptômes de la rougeole compliquée… » Un autre nous apprendra que les personnes de groupe sanguin O+ étaient bien donneurs universels mais que récemment, ça a changé… Un autre encore à qui on demande de décrire des œdèmes ascendants (un des signes de la malnutrition sévère) nous répond : « Ben… ce sont des œdèmes qui ascendent… ? » On rigole mais dans le fond, on réalise qu’on va avoir du mal à trouver du personnel qualifié pour notre hôpital et ça, ça n’est pas drôle. Je me retrouve aussi plusieurs fois à devoir mener des entretiens avec des gens qui ne parlent pas un mot de français. Un des membres de l’équipe me sert alors d’interprète swahili ou kiluba. Le choix des lauréats n’est pas aisé : qu’est-ce qui distingue une cuisinière d’une autre ? Ce sont toutes des mères de famille, toutes ont besoin de travailler, j’essaye de rester impartiale mais mon petit cœur se retourne quand je sais dans quelles conditions tout ce monde vit et qu’ils me supplient de leur donner le poste… Très vite, tout le monde en ville sait que les emplois et l’argent sont dans mes mains. Je ne peux pas faire 30 mètres sans qu’on m’arrête, qu’on plaide la cause d’untel ou d’un autre, qu’on me demande même 50 francs congolais (5 centimes d’euros à peu près) pour acheter à manger, … Les gens ici ne mangent pas à leur faim et être le seul employeur de la ville nous donne un pouvoir immense. Quelque part, j’ai hâte que cette phase de recrutement se termine.
Une fois les lauréats sélectionnés, on passe à la phase de signature des contrats. MSF prend en charge les frais médicaux des personnes à charge de ses agents. Soit une épouse (oui, une seule…) et tous les enfants (de toutes les épouses ce coup-ci). La loi congolaise n’autorise pas la polygamie. MSF non plus du coup. Mais les lois coutumières qui régissent la vie locale sont un peu plus souples… Il n’est donc pas rare d’avoir une épouse officielle et puis une ou deux autres officieusement. Pour pouvoir prendre en charge tous ces enfants, je demande à chacun de m’apporter les certificats de naissance de toute leur smala. Le hic c’est que l’état civil n’existe pas vraiment. Et que personne ne se soucie vraiment de noter les dates de naissance de ses enfants. L’année oui, le mois passe encore mais le jour… A raison de 8 enfants par personne en moyenne, ça fait pourtant un sacré paquet de paperasse à fournir… Je ne récolte qu’une poignée de certificats authentiques. Le reste n’est que photocopie grossièrement falsifiée ou documents antidatés : je me retrouve avec le certificat de naissance d’un enfant né en mars 2015 et pourtant le document est daté de janvier 2014, tous les enfants d’une même famille sont nés le même mois et le même jour (des gens drôlement bien organisés…), certains ne se rappellent plus des noms de tous leurs enfants… Comme ces enfants n’ont pas nécessairement le même nom que leurs parents, il m’est absolument impossible de vérifier que ceux que j’enregistre sont réellement les enfants de mes nouveaux employés et pas ceux de leurs voisins. Je découvre donc l’ampleur du problème de l’administration congolaise (qui ne doit pas être un problème spécifiquement congolais d’ailleurs…). Ma photocopieuse tourne à plein régime et je m’habitue progressivement à l’absurdité de la situation.
Et puis finalement, ça y est. Tout le monde est à son poste, les plannings sont faits, les rotations établies, les contrats signés, le logiciel de gestion des payes mis à jour et les déclarations administratives prêtes à être envoyées à Lubumbashi. Je vais pouvoir commencer à mettre mon nez dans la comptabilité…