Où l’on parle de religion

 

Comme vous le savez, ou peut-être pas, on ne plaisante pas avec la religion en Afrique. Moi, tant que chacun laisse son voisin libre de croire ce qu’il veut, je me fous bien de ce que les gens croient. Je n’impose ma vision des choses à personne et personne ne me convaincra qu’il y a un œil quelque part dans l’univers qui nous surveille et nous jugera une fois qu’on les aura fermés, les yeux, pour la dernière fois. Ici, on trouve de tout : des chrétiens de tous poils (et même de poil dont vous n’avez jamais entendu parler comme l’église du 32ème parallèle…), des musulmans de toutes les couleurs et même des juifs (mais pas beaucoup, c’est vrai). Et puis mixées avec la religion, on trouve les croyances, le vaudou, les traditions, la sorcellerie… Bref, niveau spiritualité, y a de quoi s’occuper. Evidemment comme chacun pense détenir la vérité, ça mène invariablement à des conflits, des tueries, des massacres, des guerres… Ce qui est inconcevable par contre, c’est de ne pas croire. En Dieu, aux esprits, à ce qu’on voudra mais si vous dites que vous ne croyez en rien voire pire que vous croyez qu’il n’y a rien, on va vous regarder au mieux avec consternation, au pire avec horreur.

Laissez-moi vous raconter une petite anecdote à ce sujet…

L’autre jour, je vais à l’aéroport récupérer un passeport qu’un de mes gentils newbies à laisser là. Je ne vous ai jamais raconté cette histoire ? C’en est une bonne aussi mais je vous la raconterai une autre fois. Bref, je vais à l’aéroport. Je me faufile jusqu’au bureau du Chef de poste de la Direction Générale de la Migration. Moi, si j’étais Chef de poste de la Direction Générale de la Migration, je serai pas une petite rigolote. Il est 11H30. J’avais rendez-vous à 11H mais je me suis adaptée à l’heure congolaise… D’ailleurs, M. le Chef de poste, il est pas encore là. Alors j’attends.

Un bon quart d’heure plus tard, il fait son entrée. Tonitruante. Il ouvre la porte en verre à toute volée (c’est peut-être pour ça qu’elle est toute bardée de scotch…), se retourne, aboie d’une voix de stentor des ordres en swahili sur une bande de petits gars que je ne vois pas mais que j’imagine tremblants et suants (fait chaud dans c’pays…) et il se tourne vers moi, me jauge et tout à coup, se fend d’un immense sourire. Tout sanglé dans son costume amidonné, il est beau comme un camion. Il enlève son képi, me serre la main et me dit : « Ma chère mademoiselle, asseyez-vous… ». Moi, les camions, j’ai jamais pu résister : je suis charmée.

Alors je lui explique ce qui m’amène. Le petit nouveau qui n’avait pas assez d’argent sur lui au moment de payer le visa, le passeport qui est resté en otage, le besoin absolument impérieux que j’ai de récupérer ledit passeport pour me mettre en conformité avec la loi et faire voyager son propriétaire… Il a l’air attentif, il hoche la tête… « Pas de problème mademoiselle. Si vous avez apporté de quoi payer le visa, on va vous le délivrer tout de suite… ». Je le savais qu’il était charmant.

« Bon. Sauf que tout de suite, c’est pas vraiment possible vu que le chancelier, il est pas là. Et le chancelier, c’est lui qui a le tampon. Et pas de tampon, pas de visa. Et pas de visa…, pas de visa.» Ah. Bah on va l’attendre alors, non ? « Oui oui, comme vous voulez. Restez ici, il va venir. » Très bien. Le camion ressort après m’avoir à nouveau serré la main. Le bureau est climatisé, la chaise est rembourrée, je suis prête à attendre. Alors j’attends.

Un bon 45 minutes plus tard, je ronfle, la tête renversée sur le dossier avec un léger filet de bave qui sèche sur mon menton, quand la porte s’ouvre sur le chancelier. Comparé au camion, c’est une Coccinelle. Rouillée. Il envoie pas de la bûchette, quoi… Mais bon, c’est lui qui va arranger mes affaires alors je me colle un sourire aimable et j’attends tranquillement qu’il sorte ses petits stylos de son cartable. Visiblement, lui aussi a décidé d’être aimable. Très aimable même. « Mais bonjour petite mademoiselle ! Vous venez me voir ? Comme c’est gentil… » Ouais. C’est ça. Je suis gentille et j’ai besoin d’un tampon, d’une signature et d’un reçu de paiement. Alors fissa, et que ça saute, ça fait déjà presque 2 heures que je suis là… Et pendant que le chancelier aligne ses crayons, fait apparaître le tampon tant convoité et sort du fatras improbable qui couvre son bureau le passeport que je suis venue récupérer…

– Tu sais… on peut se tutoyer, hein ?

– Bah…

– Oui parce que tu es mon amie… on peut être amis, hein ?

– Bah…

– Non ? Tu veux pas qu’on soit amis ?

– Si, si…

– Ah ! Bah on peut se tutoyer alors ! Tu sais, mon amie, moi, je veux voyager en Europe.

– Ah oui ? Bah c’est possible ça.

– Oui je sais. Mais je veux pas voyager en Europe. Je veux aller en Europe, trouver une Blanche, me marier et faire des enfants.

-… Ah… oui… Mais tu sais, tu peux aller en Europe, trouver une Blanche mais t’es pas obligé de te marier pour faire des enfants.

– Quoi ? Ah mais vous, les blancs, vous êtes compliqués… Mais pourquoi vous voulez pas vous marier ? Toi, par exemple, tu es mariée ?

– Bah oui, tiens ! Moi, par exemple ! Et bah non, moi, je suis pas mariée !

– Mais pourquoi ? Ton père, il te dit pas qu’il faut te marier ?

– Ah bah ça, ça serait bien la meilleure !! Non ! Il me dit rien du tout !

– Ah la la… Vraiment… Vous, les Blancs, vous êtes compliqués… Mais pourquoi tu veux pas te marier ? Tu veux pas avoir d’enfants ?

– Présentement, non, je ne veux pas avoir d’enfant. Mais même si je voulais, je suis pas obligée de me marier pour ça.

– Ah mais si ! Tu sais, c’est important !

– Bah… pas pour moi.

– Ah non, vraiment, vous êtes compliqués… Moi, je veux me marier. Parce que c’est important. Pour ma famille. Et puis pour Dieu aussi.

– Ah… pour Dieu…

– Bah oui. Tu pries dans quelle église toi ? Pentecôtiste ? Baptiste ?

– Ah moi, je ne vais pas à l’église.

Jusque-là, la conversation était plutôt sur un ton cordial voire badin. J’aurais accepté de l’épouser dans la minute et de lui faire 4 enfants dans les 5 d’après que je n’aurais pas pu lui faire plus plaisir… Mais quand j’ai dit que je n’allais pas à l’église, il a relevé la tête du passeport sur lequel il était en train d’appliquer un buvard pour faire sécher l’encre du fameux visa et son sourcil droit s’est mis à tressauter.

– Ah bon ? Mais… tu es musulmane ?

– Euh… non…

– Ah bon ? Mais tu pries où alors ?

– Bah… je ne prie pas.

– Mais… tu crois en Jésus quand même ?

– Ah bah non, justement, tu vois. Je ne crois pas en Jésus.

– Mais… mais… mais… alors… tu es… SATAN !!!

Là, clairement, l’envie de m’épouser lui était passée. Il était consterné. J’ai éclaté de rire. Qu’on me trouve parfois légèrement machiavélique, d’accord. Mais Satan, quand même, faut pas pousser !

– Non, non ! Je ne suis pas Satan ! Simplement, je ne crois pas en Dieu. C’est comme ça.

– Mais… c’est pas possible ! Tu dois croire en Jésus !

– Bah non. Je ne « dois » pas croire en Jésus. Ecoute, je respecte le fait que toi, tu y crois. Mais moi, je n’y crois pas. C’est tout. Puis tu sais, en Europe, y a beaucoup de gens qui n’y croit pas.

– Oui mais ça c’est parce que ce sont des Arabes !

– Ah non ! Pas seulement ! Y a aussi plein de Blancs qui ne croient pas en Dieu et qui ne  vont pas à l’église.

– Mais… enfin… c’est pas possible ! Je ne te crois pas.

– Mais si ! Je te jure ! C’est vrai !

– Mais comment ? Je veux dire… c’est quand même vous, les Blancs, qui nous avez apporté Dieu en Afrique !!

Là, c’était mon tour d’être décontenancée. Je savais que depuis un moment, j’étais en terrain glissant mais là, qu’est-ce que je pouvais lui répondre ? Que d’ici 3 ou 4 siècles, on pouvait espérer que les religions en Afrique seraient un tout petit moins importantes, que les démocraties seraient un tout petit plus fortes et que 1000 colombes allaient répandre la paix sur Terre ?

Alors j’ai trop rien répondu. On a continué à bavasser gentiment. Mais chaque fois que quelqu’un entrait dans ce fichu bureau, mon nouvel ami s’exclamait : « Hé ! Je te présente Anne Lise, ma nouvelle amie ! Elle ne croit pas en Dieu ! » Et le nouvel arrivant ouvrait de grands yeux et me disait : « Mais non ! C’est pas vrai… On fond de toi… tu crois, hein ? »

Deux heures plus tard (oui, il m’a fallu 4 heures pour obtenir un visa… 4 heures et 90 dollars…), je suis ressortie de l’aéroport. Et je me suis dit que la prochaine fois qu’on me poserait la question, je répondrai sûrement que je suis catholique. Classique pour un Européen. C’est pas que l’idée d’incarner Satan ne me plaise pas un peu… je l’avoue, ça me fait un peu rigoler, mais quand même, dans un pays où on brûle les gens pour sorcellerie, je suis pas sûre que ce soit une bonne blague…

 

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