A 5h pétantes, Josselin, Justine, Papa et moi, on est debout sur le trottoir à trépigner d’impatience en attendant que passe nous chercher le minibus qui nous emmène à la frontière bolivienne. Aujourd’hui, on part pour le Salar d’Uyuni, facilement dans le top 5 de ma liste d’endroits à aller voir pendant ce voyage.
Les rues sont plongées dans le noir, les étoiles constellent encore le ciel, on aperçoit même un bout de voie lactée. Quelques chiens errants et fêtards bien imbibés errent dans les rues et passent devant nous en se demandant bien ce qu’on fait là avec tout notre barda. A 5h30, le minibus arrive enfin. Il termine la tournée de la ville pour récupérer les petits chanceux qui traverseront leSud Lipez ces 2 prochains jours et à 6h, on quitte enfin San Pedro de Atacama.
A cause des chutes de neige des derniers jours, on ne peut plus passer la frontière comme prévu à côté de San Pedro mais il nous faut remonter jusqu’à Ollague, 300kms plus au nord. 300kms, 3 heures. Dont 2 à une vitesse folle sur une piste crevée de nids de poule où tu te dis que finalement, c’est bien que tu aies zappé le petit-déjeuner… Le paysage est déjà incroyable : des volcans, des montagnes gigantesques au sommets saupoudrés, des grandes plaines dorées et ici et là, une voie de chemin de fer qui serpente.
Vers 11h, on atteint le poste frontière chilien. Parce qu’avant d’entrer en Bolivie, faut déjà qu’on sorte du Chili. Mais apparemment, on n’est pas les seuls à avoir envie de sortir ce jour-là. On se fait donc une bonne heure de queue pour obtenir le précieux tampon de sortie avant de remonter dans le minibus et de parcourir 2 kilomètres supplémentaires. Là, au beau milieu du no man’s land, une bonne vingtaine de jeeps de différentes agences attendent sagement leurs clients. Avant d’entamer l’aventure bolivienne, on a donc le droit à un petit-déj (il est midi mais dans la vie, faut pas se laisser abattre) avec notre premier maté de coca, une infusion de feuilles de coca, bien connues pour être l’ingrédient de base de la cocaïne mais utilisée partout dans les Andes pour ses propriétés médicinales aidant à combattre le mal des montagnes. La coca, tu la bois ou tu la chiques. Nous, on commence par la boire. C’est bizarre, pas très bon, moi je trouve que ça a un vieux goût d’herbe coupée mais bon, on est là pour découvrir la culture locale, pas pour faire une critique culinaire… Et puis l’air de rien, on est déjà à 4000m et on ne plaisante pas avec ces choses-là.
On fait alors connaissance avec notre chauffeur pour les 3 prochains jours, Jaime. Jaime, il parle espagnol, quelques mots d’anglais et basta. Mais il a l’air super sympa et une fois que nos sacs sont chargés et emballés sur le toit de la jeep, on part pour le poste frontière bolivien. Bizarrement, côté bolivien, y a personne. Alors, juste le temps d’une petite photo…
… et en voiture Simone ! Dans la jeep, on est 6 : notre équipe de choc et 2 Américains, Kim et Matt. 7 avec Jaime. Rapidement, on se rend compte qu’on a bien de la chance d’être tombés sur Jaime. Il conduit bien, nous raconte plein de trucs sur ce qu’on voit et quand vient l’heure du déjeuner (non, on ne passe pas notre temps à s’empiffrer, c’est juste qu’on avait pris un peu de retard sur le breakfast time) au bord d’une lagune à flamants et qu’on retrouve les autres jeeps, on a de loin le meilleur menu. Chaque chauffeur s’occupe de ravitailler son équipage. A chaque pause, il font le tour des voitures, vérifient que tous les pneus sont encore bien gonflés et que les plaquettes de frein ne sont pas collées quelque part où elles ne devraient pas être (ce qui arrive à une autre jeep au bout de 20 minutes). On passe ainsi l’après-midi à traverser le Sud Lipez vers le sud jusqu’au coucher du soleil sur la Laguna Colorada, une lagune rouge sang à cause des microalgues qui vivent dedans. Une fois que la nuit est tombée, il nous reste encore à rallier notre refuge pour la nuit, quelque part au milieu de ce désert. Et déjà que normalement la nuit dans le désert c’est froid, mais à 3800m, la nuit dans le désert ça caille sévère. Jaime, lui, il s’en fout, il a enfilé un pyjama intégral en fourrure mais nous, à l’arrière de la jeep, on rigole moins. On arrive quand même à négocier qu’il nous mette un peu de chauffage. Pour ça, faut s’arrêter, ouvrir le capot et tripoter des trucs dessous… c’est normal. Peu importe, au bout de 10 minutes, ça va déjà mieux. Par contre, Jaime, tout engoncé dans sa combinaison en pilou-pilou, il crève de chaud. Bah la prochaine fois, il nous fournira le pilou-pilou, hein !
On arrive donc vers 20h dans le village (12 bicoques à tout casser) où on doit passer la nuit. Là, on a droit à une bonne soupe brûlante et une plâtrée de spaghettis sauce à l’ail… Comme Jaime n’a pas prévu d’animation pour la veillée, on va donc se coucher vite fait après. De toute façon, sous les tonnes de couvertures, c’est le seul endroit où il fait une température acceptable. Parce que non, y a pas de chauffage. Y a pas d’eau chaude non plus et les toilettes sont à l’extérieur, autant dire que t’as pas intérêt à avoir envie de faire pipi au milieu de la nuit, le risque de surgélation instantanée est bien trop élevé.
Le lendemain matin, après un petit-déjeuner de rois (pancakes et manjar, la version occidentale du dulce de leche argentin), on retrouve Jaime et on repart pour une journée de balade entre gros cailloux aux formes bizarres, lagunes envahies de lamas et de gros lapins à queues d’écureuils et montagnes toujours aussi somptueuses. Toutes les jeeps s’arrêtent plus ou moins aux mêmes endroits. Mais Jaime, il sait bien que nous, on n’aime pas ça. Alors à chaque fois, il prend des routes un peu différentes et nous arrête dans des coins où y a personne. La veille au soir, au refuge, on a entendu des gens qui se plaignaient de leur chauffeur qui ne leur parlait pas et qui roulait comme un dingue. Nous, on est bien contents que le hasard fasse bien les choses. En plus, Jaime, il a un iPod plein de super musique bolivienne, c’est la fête. Bref, on roule dans le désert pendant des heures et en fin de journée, on arrive au bord du fameux salar, devant un hôtel de sel. Jaime a eu beau faire tout ce qu’il pouvait, on n’est arrivé qu’en second. Un hôtel de sel, c’est un hôtel où les murs, le mobilier et le sol sont en pierre de sel. J’y croyais moyen, j’ai voulu vérifier, j’ai léché un mur. C’était bien salé. On a juste eu le temps d’aller admirer le coucher du soleil avant de se retrouver plongés dans la nuit noire et glaciale… Alors on a vite avalé le dîner que Jaime nous avait préparé avant d’aller se glisser entre nos draps en polaire sous une bonne tonne de couvertures.
Ce matin, à 4h30, quand le réveil sonne, on ramasse vite fait nos affaires et on rejoint Jaime pour charger la jeep. Dehors, tout le monde s’agite pour partir au plus vite, lampe frontale vissée sur le front parce qu’à cette heure-ci, le générateur n’est pas en route. Ce matin, il faut partir de bonne heure pour aller voir le soleil se lever au milieu du salar. Alors après une petite heure à rouler à tombeau ouvert en se demandant bien comment Jaime fait pour trouver la route vu qu’il n’y a pas l’ombre d’un panneau ou d’une piste à l’horizon, on finit par s’arrêter, comme ça, d’un coup, au beau milieu d’un grand terrain plat dont on sait qu’il va être immense et blanc mais dont on ne devine que les quelques mètres qui nous entourent pour l’instant. Il fait froid, très froid. Mais doucement, les premières lueurs éclairent l’horizon et peu à peu, le salar apparaît… Et là, c’est… blanc, ok, immense, ok, mais c’est surtout… fantastiquement indescriptible. Voilà, le salar d’Uyuni, c’est ça.
C’est complètement dingue. Quand on gratte un peu le sel, qu’on casse la croûte, un peu comme celle d’une crème brûlée, on trouve de l’eau. Et plein de gros cristaux de sel. Et puis en dessous, on trouve encore du sel et puis un peu de terre et encore du sel et de la terre et ainsi de suite sur parfois jusqu’à 40 mètres d’épaisseur. Alors on reste là, à photographier tout ça sous toutes les coutures, en râlant parce que les photos ne rendent pas compte de la réalité et parce que c’est encore bien plus beau en vrai. Alors on finit par juste regarder et regarder encore à s’en brûler les yeux…
Au bout d’un moment, Jaime, qui lui, vient regarder le spectacle 3 fois par semaine et qui commence à être un peu blasé, nous force à remonter en voiture et nous emmène jusqu’à l’autre bord du salar où des paysans boliviens exploitent le sel. Le boulot est crevant, les conditions hyper difficiles et ça ne rapporte pas grand-chose alors ils ne bossent que le strict minimum et le reste du temps, l’usine de conditionnement ne fonctionne pas. Nous, on trouve ça joli tous ces petits tas de sel mais c’est vrai que ça doit pas être rigolo.
Notre dernier arrêt avant Uyuni est le fameux cimetière de trains à côté de la ville. Il y a des années, un train reliait Uyuni à Antofagasta (sur la côte chilienne). Depuis près de 40 ans, on a abandonné le train (probablement bien trop cher à entretenir entre le sel, le sable, les Andes et les températures glaciales). Depuis, des tas de vieux trains rouillent et s’enfoncent gentiment dans le sable au milieu de ce qui ressemble plutôt à un grand terrain vague. On comprend pas bien pourquoi c’est si fameux et apparemment, Jaime non plus. Et puis il nous dépose finalement à Uyuni. Là, notre premier objectif, c’est de trouver des billets dans un bus pas trop pourri qui part le soir même pour La Paz. Kim et Matt, les 2 Américains qui partagent notre jeep depuis 3 jours sont dans le même cas que nous. On arrive à trouver notre bonheur et on se retrouve tous les 4 sur le trottoir à devoir s’occuper pendant les quelques heures qui nous restent avant le départ du bus. Alors on traîne, du Mac internet café à l’Extreme Fun Pub, on finit par dire au-revoir à Josselin et Justine qui repartent côté chilien le lendemain et à l’heure dite, on grimpe dans le bus où on s’empresse de récupérer des couvertures (y en a pas pour tout le monde). Et au moment où le bus démarre, on se dit qu’on a bien fait de pas prévoir de rester plus longtemps à Uyuni, c’est vraiment trop déprimant comme ville.
Photos ici.