Ce matin, le réveil a sonné. Et à 6h, s’il vous plaît ! Non mais c’est pas une heure pour s’extirper de sa couette, définitivement ! Sauf que ce matin, pas le choix. Il n’est pas question de louper le ferry qui va m’emmener de l’autre côté du détroit de Géorgie (oui, je sais pas pourquoi il s’appelle comme ça celui-là…) et me faire traverser la frontière canadienne. J’ai décidé de démarrer le périple canadien à l’extrême ouest, sur l’île de Vancouver. On m’y a promis des paysages fabuleux, des villages tout choupinous et des spécialités locales à faire frétiller les papilles. J’ai dit banco.
J’ai donc passé la nuit calmement accoudée à un petit bout de trottoir à Anacortes. Parce que c’est de là que partent les ferrys, hein, pas parce que y a quelque chose à y voir. Et il fait à peine jour quand je rejoins le terminal. Je serre sur mon cœur mon passeport et celui de Flipper (oui, il faut un peu de paperasse pour que Flipper aille tranquillement barboter à l’étranger) et je me présente tout sourire au guichet.
– Oui ? Vous allez où ?
– Euh… bonjour ! Je vais à Sidney ! (oui parce que de l’autre côté du détroit de Géorgie, ça s’appelle Sidney. Rien à voir avec les kangourous. Evidemment.)
– Oui, très bien. Ça fera 59,85 dollars.
– OK. Mais euh… vous voulez pas voir mon passeport ?
– Ah non, ça, c’est pas de ce côté que ça se passe ! C’est à l’arrivée.
Là, je me dis que si y a un problème, va falloir se retaper la traversée dans l’autre sens, que ça n’est pas bien logique tout ça mais surtout je garde mes réflexions pour moi.
Je passe ensuite à un deuxième guichet qui vérifie que j’ai bien payé au premier (bah je vois pas bien comment j’aurais pu feinter le paiement…) et m’envoie patienter dans la file n°11. Les files se remplissent doucement en même temps que le jour et le brouillard se lèvent et des messages diffusés par les haut-parleurs tournent en boucle. D’ailleurs, au bout d’un moment, je dresse l’oreille : ils parlent de « bear sprays ». Et bah figurez-vous qu’il est interdit d’entrer au Canada avec ces petits machins-là. M*** ! Je vais quand même pas jeter le mien ?! Je l’ai acheté exprès !! Bon, je le planque au fond de mon sac et je me dis que si j’ai droit à une fouille en règle, je prétexterais que je l’avais oublié… (NDLR : faut pas faire ça, c’est mal). Dans la foulée, j’apprends qu’on ne peut pas entrer au Canada non plus avec des fruits et des légumes frais. J’en ai plein le frigo, c’est parfait… Pareil, je vais pas jeter toutes mes provisions, je fais donc la sourde oreille.
On monte enfin sur le bateau, je serre bien le frein à main de Flipper (on ne sait jamais, une grosse vague et hop ! le voilà par-dessus bord !) et je vais m’installer sur le pont en espérant admirer le paysage et, sait-on jamais, une orque qui passerait par là. Evidemment, y a un brouillard à couper au couteau, on n’y voit goutte et le capitaine passe son temps à sonner de la corne de brume… Je finis donc par réintégrer le ventre de Flipper et ma couette en râlant.
Quelques heures plus tard, apparaît enfin la côte canadienne.
On attend patiemment que le ferry s’immobilise, que les portes s’ouvrent et on s’avance prudemment sur le sol canadien. Là, faut refaire la queue pour passer la douane et faire tamponner son passeport. Mon tour arrive… je baisse ma vitre, m’applique à faire mon plus beau sourire, tend mon passeport et…
– Bonjour !
– Bonjour Madame. Vous êtes française ?
– Euh… oui.
– Il est à qui ce van ?
– Euh… c’est une location.
– Vous avez le contrat ?
– Bien sûr !
– Très bien. Vous allez où comme ça ?
– Ben… d’abord je vais faire un tour sur l’île de Vancouver et après je vais continuer ma route vers les parcs nationaux d’Alberta…
– Très bien. Combien de temps vous comptez rester chez nous ?
– Oh ! Pas plus de 2 semaines ! Après, je dois retourner aux USA pour rendre le van !
Là, il tamponne mon passeport et il s’apprête à me le rendre quand…
– Vous transportez de la viande, du fromage, des légumes ou des fruits ?
– Euh… c’est-à-dire… un petit peu de tout ça…
– QUOI ???
– Non mais j’ai juste un petit peu de jambon, des tranches de fromage, des carottes…
– Il reste du vert sur vos carottes ?
– Ah non non non ! Elles sont pelées et dans un sachet ! Et puis, j’ai peut-être aussi une pomme. Vous voulez voir ?
Je fais mine de détacher ma ceinture pour aller lui ouvrir le coffre.
– Faut que vous sortiez de la voiture pour regarder ?
– Euh… bah oui. C’est dans le coffre.
– Bon. Bah on n’a qu’à dire que c’est pas grave et que vous n’avez pas de pomme et puis ça ira. Allez, bon voyage et profitez bien !
Et voilà comment je me retrouve officiellement en territoire canadien, contrebandière de pommes et de tout un tas d’autres trucs…